Ce matin là, les rayons du soleil matinal filtrés par les arbres, à l’orée de cette forêt, ressemblaient à un éventail d’or.
Jérôme, le garde forestier, quittait les champs pour s’enfoncer dans l’allée forestière. Sa chienne Ciboulette, le précédait. Reniflant par ci par là, elle rapportait, toute joyeuse, les morceaux de bois que son maître lançait! Jérôme sifflotait
« Je n’ai pas encore inspecté cette allée, se dit il, allez ! Au travail »
Rien d’anormal en cette fin de mars encore frisquette, les arbres bourgeonnaient, certains, précoces, fleurissaient déjà. Des dégradés de vert auréolaient les branches noircies par l’hiver et redonnaient un air coquet aux sous bois.
Jérôme s’arrêta songeur devant un hêtre, celui-ci s’élevait à plus de 8 mètres du sol, son tronc brun craquelé luisait dans les rayons printaniers, mais point de feuilles, pas un semblant de bourgeon sur ses branches entrelacées.
Il cogna l’arbre avec son bâton et s’exclama : « Tiens donc, celui-ci est mort, va falloir que je prévienne les bûcherons, et il traça, à la craie, une croix sur l’écorce !
Il écrivit dans son petit carnet, siffla Ciboulette qui coursait un lapin mordoré, et continua son chemin.
Aussitôt qu’il eut disparu au détour du chemin, un silence de cathédrale se fit. L’hêtre relâcha ses branches et se mit à pleurer, les arbres qui l’entouraient, tous ses voisins, les oiseaux, les insectes, soupirèrent, soulevant en un tourbillon désespéré les feuilles mortes de l’hiver.
Le plus vieux chêne prit la parole, et tous se turent :
« Mais que t’arrive t’il mon cher Hêtre ? Où sont passés tes bourgeons ? Pourquoi pleures-tu ainsi? »
L’ hêtre tristement répondit :
« L’hiver a été trop rude pour moi, je suis fatigué, malade, ma sève n’est pas assez forte pour créer mes bourgeons »
Il sanglota de plus belle.
Puis il reprit :
« Demain, ils viendront m’abattre, me tronçonner, me débiter en rondins et je finirai bientôt brûlé dans la cheminée du manoir, réduit en cendres !
Ses voisins soupirèrent de plus belle.
Le chêne ému, réfléchissait, une de ses branches altière appuyée sur le tronc du hêtre.
Deux charmants écureuils roux, queues en panache, descendirent, en se poursuivant, des plus hautes branches de l’arbre. Ils pleuraient. C’était leur lieu privilégié, pour jouer, et manger quand les fruits de l’hêtre (les faînes) étaient mûrs. Et des bûcherons allaient venir le découper en rondelles! Alors ça il n’en était pas question !
Joli, le plus grand tapota délicatement l’arbre :
« Ne pleure pas mon ami, on va t’aider ! »
Mignon le plus petit rouquin ajouta :
« Ne t’inquiète pas, on va trouver une solution ! »
Mignon reprit :
« Nous connaissons un farfadet génial, il connaît plein de choses, nous courons le chercher, il se nomme Siffletou. Il flâne toujours dans la campagne voisine»
Les arbres, la faune, la flore poussèrent un ouf de soulagement ce qui fit bouger la cime des arbres tel un zéphyr.
Les deux compères rougeoyants, coururent dans le champ voisin, en chantant :
« Siffletou, on te cherche ! T’es où ?
Siffletou coucou, viens vers nous !
Siffletou, on te cherche ! T’es où ?
Siffletou coucou, viens vers nous ! »
Quelques minutes plus tard, un petit bonhomme de 50 centimètres environ, au visage ridé, à la peau mate, vêtu d’une veste rouge aux boutons argentés et rutilants, au pantalon marron, aux épaisses chaussures à grosses boucles brillantes, s’approcha des deux écureuils. Il sifflait comme un merle, il savait imiter tous les chants d’oiseaux du plus petit colibri au plus grand des aigles!
Joli et Mignon lui racontèrent l’affaire, Siffletou hochait la tête pensivement et dit :
« Mes amis, je suis désolé, mais je ne suis pas l’homme de la situation, j’ai un don c’est vrai, celui de soigner les animaux, je viens à l’instant de guérir une araignée arthritique, ainsi qu’un adorable chevreuil blessé par les jeux cruels des humains, je sais aussi réparer les objets cassés, mais malheureusement je ne sais soigner nos amis les arbres ! »
Il écarta les bras désorineté et pensif Joli et Mignon se mirent à pleurer !
« Mais comment va t’on le sauver ? Il croit en nous ! Il ne soit pas mourir. Nous devons trouver très vite une solution. Demain le bucheron vient l’abbatre. »
Siffletou siffla comme le chardonneret et dit :
« J’ai entendu parler d’une fée, elle vit au fond de la forêt, elle s’appelle Emeraude, il paraît qu’elle parle aux arbres et les soigne aussi, ne perdons pas de temps allons la chercher ! J’espère que nous arriverons à temps. Allez mes enfants, mettons nous en route immédiatement»
Et les trois compères s’élancèrent à la recherche de la fée Emeraude. Siffletou sifflait à qui mieux mieux. Joli et Mignon, les écureuils, sautaient et roulaient dans l’herbe.
Les timides violettes à leur approche, levaient leurs petites têtes d’améthystes, les mousses au pied des arbres, leur offraient un coussin moelleux pour un bref repos, les pervenches éclairaient leur chemin de leurs pétales irisées.
Après trois bonnes heures de marche, ils arrivèrent au cœur de la majestueuse forêt. Une étendue de jonquilles fit tinter leurs clochettes duveteuses. Devant leurs yeux émerveillés se dressait une coquette chaumière aux murs ocres, volets bleus, des rideaux de dentelle retenus par des glands orangés, des fleurs multicolores aux fenêtres et dans le jardinet : féerique ! Normal ils étaient chez la fée ! Elle sortait justement de la maison, elle vint à leur rencontre toute gracieuse.
Siffletou, s’agenouilla devant elle extasié.
Joli et Mignon tombèrent à la renverse dans les trèfles à quatre feuilles ! La fée était magnifique !
Elle portait une robe de soie vert brodée de fils d’or, ses ailes déployées et transparentes étaient bordées d’or et scintillaient dans la demi pénombre, ses cheveux couleur de miel tombaient en cascade sur ses épaules nues. Autour de son cou gracile brillaient de tous leurs feux des minuscules émeraudes et des diamants. En serpentins sur ses bras resplendissaient des saphirs et des pierres de jade.
Toute souriante, elle fit se relever Siffletou toujours sous le charme. Intimidé, il parvint quand même à lui expliquer le but de leur visite : il fallait sauver l’hêtre en danger de mort !
Silencieux, Joli et Mignon regardaient la scène émus.
La fée Emeraude écouta attentivement et dit :
« Pauvre petit hêtre ! Vite portons nous à son secours ! »
Elle agita doucement ses bracelets et comme par magie une licorne argentée comme la lune apparut, elle conduisait un char fleuri de violettes, de pâquerettes, de pervenches.
Emeraude et ses invités y prirent place et s’envolèrent vers l’orée de la forêt.
En quelques instants magiques, et sans un bruit, ils se posèrent devant l’hêtre malheureux, ses amis les arbres, lui chantaient une très vieille chanson pour le distraire et aussi pour le faire patienter, le silence se fit dès qu’ils virent la fée approcher.
Elle les salua tous et un frémissement de bonheur agita leurs frondaisons.
Emeraude caressa avec douceur le tronc du pauvre arbre et lui murmura :
« N’aie crainte, je suis là pour t’aider, tu vas renaître ! Pour cela, il faut croire en moi. Es tu prêt ?»
L’arbre inclina son faite dénudé. Le silence se fit de nouveau, les oiseaux cessèrent de siffler, les papillons se posèrent ainsi que tous les autres insectes, le soleil darda plus encore ses rayons bienfaiteurs.
La fée recula de quelques pas, ses mules d’or resplendissaient dans le soleil. A sept mètres du hêtre, elle retira de son cou et de ses bras les colliers et les bracelets. En prononçant ces paroles singulières: « FAGUS SYLVATICA VAR TORTUOSA !!!! », elle les lança dans les airs !
Ils retombèrent en pluie scintillante sur les branches de l'hêtre. Les bijoux au contact des branches se transformèrent aussitôt en petits bourgeons en minuscules feuilles !
Les arbres, les fleurs, les oiseaux, les insectes, Siffletou, Mignon et Joli, tous hurlèrent : « Hourra vive la fée Emeraude !! »
L’hêtre pleura, de joie cette fois, et ses larmes devenues rosée se posèrent sur les champignons ahuris et les fleurettes.
Vous pensez bien que ces cris firent vibrer la forêt !
Ciboulette, le lendemain, comprit qu’une fée était passée par là. Jérome se gratta la tête en maugréant : « oh la la, je suis fatigué, moi » et il rangea ses terribles outils.
Et depuis ce jour, à chaque orée de forêt, souffle un petit vent joyeux !......