Nouvelles

Des moments de joie ou de tristesse...nés de mon imagination ou inspirés de faits réels

 

Ce matin ,j avais rdv chez le généraliste, pour lui remettre la lettre du spécialiste,vu il y a quelques jours.
Dur la marche à pied pour une confinée urbaine!
Me voila enfin arrivée.
Après un bref bonjour à la secrétaire médicale calfeutrée derrière une feuille de plexiglas, je me dirige vers la salle d'attente.Quatre adultes et un enfant attendent sagement, comme moi masqués ohé ohé! Attention pas tous de la même couleur les masques. Deux, la mère et sa fille, en ont un maison rose a pois blancs pas mal!
Une maman accompagnée de son bambin renfrogné mais mignon, porte un masque blanc "Regarde trop les séries médicales la bonne femme!" Hihi! Le petit garçon n'a de cesse que d'enlever cette protection qui sera ou pas obligatoire! Je pense qu'il aurait préféré un masque de Zorro! Une autre dame se contente d'appliquer son foulard de soie bleu et orange sur le visage. "J'ai pas vu si c'était un Hermés'..."
Moi je suis installée face à ce quatuor sans violoncelle (ah violoncelle rêverie !) Certains comprendront! Voila qu'une envie de tousser (j'ai avalé ma salive de travers) me prend. Je toussote le plus discrètement possible! Alors quatre paires d'yeux écarquillés,voire horrifiés, me dévisagent avec ostentation! Gênée, je sors de mon sac mon téléphone pour textoter à Gaelle, histoire de calmer le jeu!
Mais hélas l'envie de tousser me reprend, et derrière ce masque de chirurgien bleu, j'étouffe! Ah oui j'ai oublié de vous dire. Je suis claustrophobe alors ce masque au secours! Je dois être rouge ou violette d'étouffement. Ma voisine de face sort un gros flacon de gel hydroalcoolique et s'inonde les mains,sans gène, ainsi que le sol à ses pieds!
A ce moment le médecin vient me chercher dans la salle d' attente,elle aussi masquée ohéohé....Je me lève précipitamment pour ne pas la faire attendre. Et là: eh oui! Je glisse dans le gel de la pétasse! Je tombe mais le médecin, n'écoutant que son professionnalisme, me rattrape de justesse dans ses bras!
Oui je sais vous avez tous crié :
"Ouf! VIVI est sauvée"
Mais non ! Car la généraliste comprenant le risque qu'elle prenait avec moi si prés d'elle, à beaucoup moins d'un mètre en tous cas, eh ben elle m a laissé retomber....
Tu parles d'une consultation!

Béthune le 28/04/2020

— Marthe! Marthe! Mais où es tu ?
La vielle dame pénétra dans la cuisine. Marthe ne s’y trouvait pas ! Le plateau pour le thé ? Pas encore préparé !
— Mais où est elle encore passée? s’impatienta-t-elle.
Elle aimait, sitôt la sieste terminée, prendre une tasse de thé et grignoter une petite douceur, elle ne craignait pas les kilos. Pas une once de graisse, l’âge l’avait un peu ratatinée, mais elle gardait une jolie silhouette….
Son corps n’avait pas été abîmé par les grossesses. Elle n’avait pas eu d’enfant, son mari la jugeant trop fragile.

Elle jeta un œil à la pendule, il était deux heures et demie, la messe de funérailles de son cousin était prévue à quatre heures. Edmond, de deux ans son aîné seulement, semblait si vieux! Il venait de mourir à soixante dix sept ans. Ils ne s'étaient jamais beaucoup fréquentés, trois à quatre visites par an, ces dernières années.
Assister à l’enterrement, lui permettrait de revoir la famille de Toulouse, revenue pour l’occasion.
Etait -elle à son avantage ? Elle était allée chez le coiffeur la veille, elle se regarda dans le miroir au dessus de l’évier
— Oui, c’est parfait, ce blanc argenté lui allait à ravir !!La famille va voir comme je vieillis bien, pensa-t-’elle en souriant !
Alors qu’elle passait devant la fenêtre, elle aperçut Marthe agenouillée dans le parterre de fleurs, elle cria :
— Marthe! Mais à quoi songes tu? Nous partons dans une heure.

Marthe, plongée dans ses pensées sursauta :  
— Oui, oui Lucie j’arrive! Je cueillais quelques muscaris que je mettrai dans mon petit vase rond.
Elle se redressa péniblement, en réprimant une plainte. Ses genoux grignotés d’arthrose, son dos raidi par l’effort la faisaient tellement souffrir. Ce matin elle avait guetté le facteur, il y avait du courrier pour Lucie, rien pour elle. Personne ne lui avait encore souhaité son anniversaire : soixante dix sept ans aujourd’hui! , pas même Lucie dont le mari , Henri, était décédé il y avait presque six ans. Depuis, elles habitaient ensemble. Comme l’an dernier, Maryse, sa fille, avait sans doute trop de travail. Elle menait une vie trépidante en banlieue parisienne. Quant à ses deux petits enfants, il l'avaient eux aussi oubliée. Elle ouvrit la porte de la cuisine, son amie n’y était plus, elle n’avait même pas branché la bouilloire électrique. Elle disposa son joli petit bouquet de muscaris dans le petit vase rose bordé de marguerites, un des rares cadeaux de Georges, son mari disparu lui aussi depuis de nombreuses années

Que c’était joli, les muscaris: ce bleu tendre, ces petites clochettes délicates et ce parfum discret. Elle avait un faible pour ces fleurs. Elle posa sur la table deux tasses en porcelaine ornées de roses, les fleurs préférées de Lucie, puis une assiette de «palmiers» ces biscuits feuilletés et caramélisés que son amie aimait tant. Marthe préférait les petits macarons. Lucie les détestait. Alors qu’elle versait l’eau frémissante dans la théière, elle entendit Lucie crier depuis l’étage :
— Marthe ! Marthe, je vais finalement mettre mon chemisier blanc à jabot. Mais je ne le vois pas où est il ?
Marthe leva les yeux au ciel :
— Mais Lucie, il n’est pas repassé ! Tous tes chemisiers prêts sont rangés dans la commode de ta chambre! Tu pourrais porter le mauves? Il te va si bien. Le thé est servi. Veux tu que je vienne t’aider pour descendre?
— Avec mon tailleur noir, je préfère mon chemisier blanc. Je mettrai aussi mon collier en or, tu sais celui qu’Henri m’a offert pour mes cinquante ans. Nous avons encore le temps. Oui viens m’aider pour descendre, je déteste cet escalier.
Marthe marmonna :
— Pourquoi si tu as peur de cet escalier mettre alors ces mules à petits talons et pompons duveteux? Risquer de se tordre les pieds et de se fracasser la tête dans cet escalier! Enfin!
Elle aida son amie en boitillant, puis sortit la table à repasser.. Après avoir débarrassé la table, elle repasserait ce fichu chemisier. Elle savait bien que Lucie, entêtée, ne changerait pas d'avis. Puis elle se préparerait , cela serait vite fait, son armoire contenait si peu de vêtements. Elle pensait mettre sa jupe de flanelle grise et son cardigan noir, pas de manteau. Cette fin d’avril était douce, un soleil clément illuminait les dernières jonquilles, les tulipes fragiles et les premiers lilas. Ce bouquet de muscaris sera pour son anniversaire pensa-t-elle en souriant.

Voila le chemisier était prêt, Marthe monta se changer, elle entendait Lucie fredonner une chanson de Charles Trenet et le bruit du vaporisateur de parfum. Son amie avait toujours été coquette, elle avait de la classe. Elle l’admirait depuis plus de trente ans. Voisines, au fil du temps elles aient noué des liens amicaux, du moins le pensait-elle. Lucie était une jolie petite femme à l’apparence fragile. Enfant unique, les médecins avaient décelé chez elle un souffle au cœur, ses parents l’avaient donc surprotégée. Lucie n’avait jamais travaillé. Elle s’était mariée à un ingénieur des mines, il l’avait également choyée.

Marthe terminait de se préparer. Elle se trouvait tellement quelconque ! Des traits ingrats, des cheveux plats et depuis quelques temps un embonpoint évident et disgracieux. Elle avait grandi dans un foyer modeste avec ses deus frères. A vingt et un an ans elle épousa Georges, un maçon. Ils n’avaient eu qu’une fille, une vie tranquille sans histoires et sans passion. Un cancer foudroyant avait emporté Georges il y aura bientôt huit ans. Deux ans plus tard Henri, le mari de Lucie, était victime d’une crise cardiaque.

Veuves toutes deux elles s’étaient encore plus rapprochées. Marthe depuis plusieurs années déjà faisait le ménage, le repassage et parfois le jardinage pour Lucie la délicate. Elle arrondissait ainsi ses fins de mois souvent difficiles. Elle profitait des récits de Lucie qui avait beaucoup voyagé avec son mari. Un jour Lucie souvent lasse et qui souffrait de solitude, proposa à Marthe de venir s’installer chez elle, moyennant évidemment un petit loyer, par contre il n’était plus question de rémunérations pour les services rendus. Et la vie continua plutôt douce.
— Marthe! Marthe il est l’heure de partir.
L’église n’était pas très loin de la maison: dix minutes de marche à pied.
— Marthe, donne moi donc le bras, je n’ai pas envie de tomber et de me briser le col du fémur.
Marthe soupira. Si Lucie avait tellement peur de tomber, pourquoi portait-elle ces chaussures à talons compensés? Mais c’est vrai qu’elles étaient très élégantes et s’accordaient parfaitement avec le tailleur noir et ce chemisier éclatant de fraicheur. Une centaine de personnes attendait le convoi funéraire. Elles entrèrent dans l’église où une messe émouvante fût célébrée pour Edmond.
— Quel drôle d’anniversaire! pensait Marthe.

Il n’était pas prévu qu’elles aillent au cimetière. A la sortie de l’église, elles se dirigèrent vers un groupe de personnes: «Les Toulousains». A ce moment là, Lucie lâcha le bras de Marthe pour s’avancer, tous sourires, vers sa famille qui la regardait admirativement :
— Voila Lucie ! Mais regardez-la! Comme elle est belle!
— Tu n’as pas changé Lucie !
Marthe, discrète restait à l’écart du petit groupe volubile. Une des cousines qui l’observait dit alors :
— Lucie, qui est cette dame qui te tenait le bras? Tu nous la présentes?
Lucie baissa le ton de sa voix, pas assez pourtant pour que Marthe n’entende pas:
— Ah! Elle, c’est Marthe, la voisine que j’héberge, une pauvre femme qui n’a pas beaucoup de moyens, il faut être charitable pas vrai? Je lui rends service.
Marthe sentit le rouge lui monter au visage. Les battements désordonnés de son cœur lui faisaient mal aux oreilles, elle essuya furtivement ses larmes. Quel anniversaire! Mais quel anniversaire! Le pire de toute sa vie! Quelle nuit aussi, à se poser des questions, à hurler intérieurement, à pleurer de peine mais aussi de rage, à détester, à haïr……

— Marthe ! Marthe le petit déjeuner est prêt? Je ne t’entends pas. Viens m’aider à descendre cet escalier de malheur. J’ai très mal aux genoux ce matin, j’ai trop marché hier après midi. Marthe ?
Pas un bruit dans la maison ! Pas d’odeur de café, ni de toasts grillés, mais que faisait Marthe?
— Enfin ce n’est pas possible! Elle est encore avec ses fleurs! Pffff
Pas un bruit !Rien. Si pourtant !... Un grincement de lame de parquet !


Marthe, en chemise de nuit rose à petites fleurs, pas coiffée, les yeux rougis mais secs, s’avance doucement sur le palier derrière Lucie. Dans un mouvement de haine, des deux mains, elle la pousse violemment.
— Allo! Les pompiers ? Je vous en prie, venez vite ! Mon amie vient de tomber dans l’escalier. Elle ne bouge plus.

 

— Finalement cela a du bon d’être célibataire se dit-elle en installant son plateau sur la table du séjour et en allumant la télévision. Prendre son petit déjeuner à 14 heures, pourquoi pas ? Personne pour réclamer un repas complet ou râler parce que la viande n’était pas assez cuite!
Elle s’était couchée tard. Après avoir regardé un thriller bien noir,elle s’était plongée dans un livre d’une romancière anglaise : une histoire captivante et stressante comme savent si bien le faire, ces dames d’Outre Manche. Sa bibliothèque, impressionnante, était garnie de romans anglais aux univers cruels et angoissants, mais aussi des recueils de poésie, l’œuvre complète de Didier Van Cauwelaert, et des livres de botanique. Lire lui permettait de s'évader.

Elle avait éteint sa lampe de chevet, vers quatre heures du matin. Le sommeil fût long à venir, tant ses articulations étaient douloureuses. Les somnifères, les antalgiques n’avaient plus trop d’effets sur la douleur: elle en prenait depuis si longtemps. Elle s’endormit enfin alors que les premières voitures faisaient résonner les pavés de sa rue. Pas même un sommeil réparateur. Le matin vers neuf heures ,elle s’était levée, trop tard, beaucoup trop tard , pour pouvoir humer, ce petit air printanier de fin avril. Vivre dans le centre de cette petite ville, c’était accepter de respirer les gaz d’échappement, les fumées, les relents de tous genres, la poussière. Pour écouter le chant des oiseaux, celui flûté du merle, les roucoulements des pigeons et tourterelles ,le pépiement des moineaux, il fallait se lever tôt.
— Tant pis pour ce matin mais demain mon réveil sonnera à six heures!
Elle grignota quelques biscottes qu’elle trempait  dans un thé noir et parfumé. Les senteurs et les arômes la ravissaient, elle passait du temps à choisir ses thés, puis prenait plaisir à les savourer, retrouvant dans une tasse de porcelaine, les goûts de fleurs et de plantes.

Enfant déjà, on la retrouvait souvent au milieu d’un champ, d’un pré, le nez barbouillé de pollen, les mains vertes d’avoir écrasé entre ses doigts des plantes odorantes. Elle vivait alors à la campagne, sans contraintes, jouait dans les rues si tranquilles, les voitures étaient plutôt rare. Des bandes d’enfants, souvent sans grande surveillance jouaient à la guerre, mais aussi à la dînette avec de la vaisselle de poupées. Il y avait les concours de couronnes de fleurs (fleurs de trèfle, ou pâquerettes), ces couronnes que les petites filles se posaient sur la tête pour ressembler aux princesses ! Il arrivait aussi que ses parents l’emmènent dans les bois. En mars, c’était les bouquets de pervenches, en avril, les bouquets de jacinthes sauvages : ces hampes florales bleu mauve au parfum puissant et si agréable qu’au souvenir, elle en eût les larmes aux yeux!
— Enfin ! Grande folle arrête donc, pensa-t-elle, tu n’as plus de jardin à dorloter, et  alors tant pis c’est la vie!

Elle rêvait d'entretenir un petit potager, bêcher, sarcler, biner, ratisser, sentir les feuilles de légumes mouillées de rosée matinale, la terre humide de pluie, ou craquelée de chaleur. Elle avait vécu dans un charmant petit village, durant de longues années jusqu’au départ de son mari. Après un divorce difficile, elle était venue vivre en ville, cela lui avait semblé plus raisonnable. Sa maladie articulaire, en pleine évolution, limitait son activité et de plus en plus sa marche. La ville, le centre ville, lui permettait de vivre seule et indépendante. La dépendance ainsi que la vieillesse lui faisaient très peur. Dans ce petit bourg, les commerces, les commodités étaient à portée de pas et beaucoup plus accessibles qu’à la campagne où elle devait prendre la voiture pour la moindre course. Après une grande période noire, elle s’était peu à peu habituée, elle avait compensé son manque de nature en ornant son appartement de plantes vertes et fleuries, son balcon  de géraniums et fleurs variées.

Elle s’était mise à la peinture, peignant surtout des paysages, des fleurs et des maisons. Ces maisons peintes traduisaient son manque, elle en était consciente. Elle s’installa dans la solitude, perdit peu à peu le goût du contact, entretenait vaguement quelques amitiés, mais comme elle se sentait exclue de la vie de famille de ses amies, elle ne les voyait plus qu’occasionnellement. De temps en temps elle avait de rares conversations téléphoniques. Elle se plaisait dans sa nouvelle vie finalement. Deux adorables chats partageaient sa vie désormais: leurs jeux, leurs mimiques, leurs présences discrètes la comblaient. Bon la collation était terminée. Elle regardait la toile blanche sur le chevalet qui l’attendait c’est sûr. Elle avait terminé la semaine dernière un paysage, mais là elle était en panne d'inspiration, pas d’idée. Que faire ? Elle s’installa dans son fauteuil préféré, reprit son livre, les chats aussitôt vinrent s’installer près d’elle en ronronnant: « L’homme sortit de l’ombre un couteau à la main, Jane entendit un pas feutré elle se retourna… »

— Brrr, brrr, On s’y croirait.
Cette romancière avait un réel talent ! « Jane hurla, mais il était trop tard, l’homme sans pitié…. » Habituée à ce genre de lecture, elle frissonna pourtant ! La toile blanche, dans le coin de la pièce semblait l’appeler! Les pinceaux dans le bocal, la palette, les tubes de peintures : tout cela l’attendait et l’inspiration revenait!
— Allez bouge toi donc un peu, peins le printemps il est là! Le temps des lilas passe si vite, songeait-elle !

Voila l’idée ! Peindre un bouquet de lilas, elle adorait  cet arbuste qu'il soit mauve, blanc ou violet. Ces grappes de fleurs au parfum inégalable étaient si jolies dans un vase !C’était décidé elle allait peindre un vase de ces fleurs, un énorme bouquet de lilas. Il embaumerait son appartement et elle le garderait à jamais sur sa toile. Mais où en trouver? L’envie de peindre la tenaillait, mais ses chevilles endolories ne semblaient guère décidées à l’emmener folâtrer dans la campagne. Elle fit un gros effort, se chaussa avec peine et descendit chercher sa voiture. La campagne n’était pas si loin, elle traversa quelques villages, espérant ainsi trouver des terrains vagues où fleuriraient ses fleurs favorites, mais sa quête fût négative. Ah il y en avait des lilas de toutes couleurs, mais dans des jardins. Oui bien sûr, il suffirait qu’elle descende et demande à acheter un bouquet, pourquoi pas, mais elle n'avait pas envie de parler à des inconnus.

Elle ralentit, elle venait de repérer une grande maison un peu à l’écart du village, bizarrement elle ne l’avait jamais remarquée, une bâtisse de caractère entourée d'un grand parc lui semblait il ! Et dans ce parc des lilas de toutes couleurs, des aubépines, des cytises, des clématites. des vibernums. Elle observait la propriété qui semblait inhabitée, pas entretenue, elle vit alors un panneau « à vendre » accroché à la grille verte rouillée. Quelle chance! pensa t elle, elle reviendrait dans la soirée, pour ne pas être vue et volerait (ben oui c’était le terme à employer!) un petit bouquet. Cela ne lésera personne ! Cette maison est bien inhabitée !

Toute excitée et ravie, elle rentra chez elle, se fit une petite soupe, nourrit ses chats et sortit son matériel de peinture. Elle avait un petit sécateur, souvenir de sa vie campagnarde qu’elle mit dans son sac pour ne pas abîmer les arbres. Au soleil couchant, elle repartit vers son rêve! Oh un rêve bien modeste mais aussi un projet de toile qu’elle imaginait superbe! Elle arrêta la voiture le long de la grille à la peinture écaillée, elle était entr’ouverte, des herbes folles et des ronces s’évadaient du jardin, aucune lumière, c’est sûr personne ne vivait là ! Elle se dirigea vers le lilas violet, un arbre immense magnifique. Il l’attendait toutes fleurs offertes, un parfum envoûtant la fit frémir de bonheur ! Alors qu’elle couchait une branche vers elle, une main velue aux ongles salis de terre et de crasse se crispa fortement sur son épaule, un rire démoniaque retentit à ses  oreilles…

Printemps 2008

 

Avant qu’elle ne puisse faire un geste, son alliance disparut dans l’eau savonneuse et tourbillonnante. Elle lavait toujours ses lainages avec un savon doux et dans  le lavabo. Affolée et tremblante, elle dévissa le siphon. Après plusieurs essais, tant elle était nerveuse, elle constata la disparition définitive de sa bague.
— C ‘est un signe!, murmura t-elle.
Elle sanglotait. Elle portait son alliance depuis plus de trente ans, sans jamais ou rarement l’avoir retirée. Seulement ces dernières semaines, elle avait maigri, ses mains devenaient osseuses, et sa bague glissait de son annulaire.

Elle s’assit sur la cuvette des toilettes, une phrase l’obsédait :
— C’est un signe ! C’est un signe !
Le signe qu’il ne reviendrait pas... Yvon, son mari, avait quitté le domicile conjugal depuis trois mois, après une vie commune et heureuse depuis leur mariage. Une jolie stagiaire aux décolletés vertigineux, aux jupes courtes sur des jambes fuselées, aux œillades coquines et intéressées, l’avait séduit. Pendant quelques temps, il était rentré  tard du bureau, prétextant un surplus de boulot. Elle lui faisait confiance car rien, dans son attitude à la maison, ne laissait envisager une quelconque infidélité. Un soir de février, il était rentré plus tard encore. Soucieux, il n’avait pas touché au repas, lui si gourmand et si gourmet. Il avait éteint le téléviseur puis était venu s’installer près d’elle dans le canapé. Elle lui tricotait un pull marine, sa couleur préférée.

— Elise, il faut qu’on parle, dit-il crispé.
Le ton de sa voix l’alerta. Il était malade? Il avait des problèmes au travail? Elle posa le tricot et se rapprocha de lui, mais il se leva mal à l’aise.
— Elise ! Je vais partir quelques temps, on me propose un poste en Angleterre  cela  ne peut être qu’un plus pour ma retraite.
— En Angleterre? Mais quand, pour combien de temps? Je t’accompagne, il n’y a pas de problème.
En effet  son entreprise venait de fermer ses portes, elle pouvait donc le suivre. Yvon, s’appuyant sur le buffet détourna le regard et répondit :
— Non, Élise, je pars seul, je quitte la maison, j ai besoin de réfléchir, je....
Elle l’écoutait, sidérée, et le doute s’insinua en elle :
— Tu as rencontré quelqu’un !
Les larmes coulaient sur son visage encore lisse malgré ses cinquante cinq ans. Yvon toussota et la regarda enfin.
— C'est-à-dire!
Il allait et venait dans le salon, Elise s’exclama :
— Je la connais? Qui est-ce, depuis combien de temps?
Alors qu’elle sanglotait, une image se précisait dans sa tête. Au "pot" de l’entreprise d Yvon, ce dernier Noël, une jeune stagiaire ne l’avait pas quitté de la soirée, ils avaient ri, plaisanté ensemble, ils avaient l’air complice. Elle se leva, s’approcha de lui :
— Ta stagiaire n’est ce pas?
Il ne répondait pas et tripotait la petite statuette égyptienne qu’ils avaient ramenée de vacances.

Elle lui prit des mains et la lança contre le mur, où elle éclata en mille morceaux. Qaund il fit mine de partir, elle tambourina son dos de ses poings en criant :
— Dis-moi la vérité !
Il revint alors vers elle et dit  en soupirant :
— Oui Elise, c’est elle, je te demande pardon ! Je ne voulais pas, je vais partir, je te laisse bien sûr la maison je vais ...
— Pars va t’en, je ne veux plus te voir !
Et elle s’enfuit dans leur chambre. Tout, ensuite avait été très vite, quatre jours plus tard, il avait quitté la maison avec ses valises. Avant son départ, il l’avait prise dans ses bras en pleurant et en lui disant de faire bien attention à elle. Depuis ce jour, elle guettait chaque jour le facteur. Elle ne quittait pour ainsi dire plus jamais la maison, espérant un coup de fil de son mari. C’est une passade, une erreur il reviendra se disait-elle, il ne peut oublier notre vie ensemble.Yvon était un passionné de jardinage, la pelouse était une œuvre d’art : pas de mousse, ni mauvaises herbes, tondue régulièrement ras, un tapis ! Un gazon anglais ! Il l’entretenait avec passion. Elise s’occupait des fleurs.

Depuis la fuite de son mari, elle s’occupait, tondait l’herbe, se disant qu’à son retour (qui ne pouvait être qu’imminent) il serait heureux de la trouver en excellent état. Elle y croyait, mais cette alliance perdue, c’était un signe. Elle enfila son vieux jogging gris troué aux genoux et sortit dans le jardin. Elle marchait sur la pelouse, quand elle trébucha dans une petite dénivellation. Pourtant ce gazon était plat, rectiligne, qu’est ce qui l’avait ainsi fait se tordre les pieds ? Elle se pencha et aperçut un trou large comme une pièce de deux euros : un nid d’insectes, de mulot? Yvon ne supporterait pas, elle alla prendre un peu de terre qu’elle mit dans la cavité suspecte, elle l’aplatit avec son talon.

Cette nuit là, elle fit un cauchemar. Elle retrouvait son alliance dans l'herbe mais quand elle voulut la remettre à son doigt, celle-ci l’enserra violemment, tout en la brûlant profondément. Il lui était impossible de  l’ôter. Elle se leva le matin épuisée, les yeux gonflés. Le téléphone avait sonné plusieurs fois, la famille sans doute. Cela ne pouvait être lui. Elle n’avait envie ni de parler, ni de manger. Elle prépara du café et en but des quantités. Le lendemain, alors qu’elle retournait sur la pelouse, afin de lancer quelques miettes de pain aux oiseaux, elle fût stupéfaite, de voir au même endroit, un trou plus large, toujours aussi net et circulaire. Elle tassa à nouveau de la terre et un peu d’herbe. Le gazon avec la dernière pluie avait  bien poussé, il lui faudrait tondre. Mais elle se sentait si fatiguée, trop lasse pour s'en occuper tout de suite.

Elle n’allumait plus la télé, restait des heures dans un fauteuil la tête vide. Vivre sans lui non plutôt mourir. Que faire sans lui qui aimait tant sa cuisine. Les petits plats mijotés, c’était fini! L’odeur de nourriture la dégoûtait, elle ne mangeait plus que du pain et buvait du café. Elle passait encore l’aspirateur mais cela l’épuisait. Des miettes, il y avait encore des miettes de pain rassis. Machinalement ce jour là, elle ressortit dans le jardin, le trou s’était encore élargi, il avait maintenant le diamètre d’une grosse boite de conserves, un trou régulier, pas de monticule de terre autour, cela ne pouvait être une taupe ou autre rongeur !

Quelqu’un lui voulait du mal. Qui venait la nuit creuser ainsi? La maison était isolée, à l'écart du village, ils l’avaient fait construire une quinzaine d’années plus tôt. Le super marché n’était qu’à une vingtaine de kilomètres, et l’épicier du village passait une fois par semaine. Il  faisait aussi le dépôt de pain. Ils appréciaient le calme et la sérénité de cet endroit. Mais, cette fois, elle eût peur, une peur irraisonnée, elle rentra précipitamment, ferma ses volets et ne les ouvrit plus.

Quelques jours plus tard, une amie d’Elise, voyant les volets clos et l’herbe haute elle pensa qu’elle était en  vacances.
— Elle a bien raison, après ce qu’Yvon lui avait fait ! Le traître.
Et elle repartit. L’épicier,comme chaque semaine,klaxonna. Elise sortit, lui prit un pain et prétexta un plat sur le feu, pour ne pas discuter avec lui. Elle se dépêcha de rentrer, sans oser jeter un regard vers l’endroit de cauchemar. Pourtant, une force inconnue la fit se diriger vers le phénomène : un trou béant d’un mètre cinquante de diamètre ! Elle s’y pencha, horrifiée, le cœur battant et ce geste fit glisser le petit pain qu’elle tenait dans son bras.

Elle se courba plus encore, elle n’avait pas entendu le bruit de la chute du pain, elle allait hurler quand deux bras noirs et desséchés l’agrippèrent et la firent basculer dans le vide! Et………………Elle sombra dans la dépression.

Elle était allongée sur cette table d’opération, depuis déjà une heure. L’anesthésiste, bienveillant et sympathique, avait essayé de blaguer avec elle pour la détendre. Peine perdue! La peur était bien trop présente !Après avoir installé son "rachis anesthésie", il avait quitté bizarrement la salle accompagné des deux infirmières. Le scialytique versait sa lumière blanche et froide sur ses jambes momentanément paralysées. Elle aurait sans nul doute préféré être endormie entièrement. Ni voir, ni entendre ! Mais le chirurgien, par précaution et pour éviter tous risques cardiaques avait opté pour cette technique plus adaptée. Elle avait la singulière impression d’être coupée en deux morceaux, ses jambes, ainsi que son bassin étaient comme morts.

Une demi heure avant de quitter sa chambre, une infirmière lui avait fait avaler deux comprimés (la prémédication). Elle savait que ces drogues calmeraient sa tension nerveuse et aussi son angoisse. Pourtant ces sentiments horribles persistaient. Depuis combien de temps était elle ainsi allongée sur cette table peu confortable? Son bras droit, bloqué dans une gouttière métallique, recevait une perfusion: un liquide jaunâtre. Elle essayait en vain de lire l’étiquette du sac de sérum, mais sa vue se brouillait. Elle n'arrivait plus à contrôler les battements désordonnés de son cœur. C’était impossible! Le silence inhabituel de cette pièce l’oppressait: pas un seul bruit de discussions ou de pas ! Mais où se trouvait l’équipe opératoire? Le chirurgien n’était toujours pas venu la saluer. Cela se faisait, lui semblait-il. Quoiqu’elle n’avait pas trop envie de le voir à vrai dire! Vite, vite que tout cela soit enfin fini!

Elle essaya de soulever la tête, mais n’aperçut que ses mollets et ses orteils barbouillés de jaune, colorés par la Bétadine, puissant antiseptique à l’odeur désagréable. A proximité, des champs opératoires impeccablement repassés étaient posés sur un petit chariot blanc et inox. Sur un autre, elle devinait toute une panoplie d’instruments chirurgicaux qui brillaient dans la lueur blafarde. Les nombreuses sources de lumière, les prismes miroirs lui renvoyaient son image: un corps en attente qui semblait ne pas lui appartenir.  Elle frissonna.

Un léger état de somnolence finit par s’installer. Ses paupières s’alourdissaient, ses rythmes (cardiaque et respiratoire) ralentissaient, le sérum jaunâtre s’écoulait dans le perfuseur. Elle compta les gouttes: trente cinq par minute, un débit correct pensa-t-elle. Mais que faisait l’équipe soignante? Il devait y avoir un problème ! Mais lequel ? L’envie de crier lui vint, vite refoulée par la peur du ridicule. Soudain, un sifflement strident la fit sursauter violemment. Une porte s’ouvrit aussitôt. Elle aperçut, dans le fond de la pièce, un homme en blouse blanche, sans doute le chirurgien. Il lui tournait le dos et ne lui adressait pas la parole, pas un bonjour! Il semblait s’affairer sur un chariot d’instruments, elle tourna la tête plus encore et crût lire un "M" imprimé sur le dos de la blouse.

Pourquoi ce "M" surprenant? Le médecin, fit volte face et s’approcha. Elle vit, avec stupéfaction, un crâne démesuré, des yeux exorbités, des yeux fous. Il abaissa vers elle sauvagement un scalpel étincelant. Elle poussa un hurlement! Céline se réveilla en sueur, le cœur battant la chamade. C’était un cauchemar. Ouf ! Rassurée, elle se leva. Le soleil matinal et printanier éclairait le living, Un bouquet, cadeau de ses enfants pour la fête des mères, composé de mufliers blancs, de roses et de magnifiques pivoines roses la fit sourire. Elle se prépara un bon petit déjeuner. C’était le grand jour.  Dans exactement sept heures, elle avait rendez vous avec le chirurgien: il était temps de prendre enfin une décision! Lors de leur première rencontre, deux mois plus tôt, ils avaient discuté d’une intervention délicate mais aussi définitive. Ses os de cheville poreux et fragiles ne supporteraient pas la prothèse, le scanner avait été formel. Il ne restait comme éventualité que l’arthrodèse: un clou en titane, un intra médullaire de quatorze centimètres, bloquerait pour toujours son articulation délabrée.

Après l'opération, elle ne souffrirait plus. Ces douleurs lancinantes gâchaient son existence depuis de nombreuses années et l’avaient rendue fragile, irritable, dépressive, elle qui aimait tant la vie! Le médecin, compréhensif, lui avait donné gentiment deux mois de réflexion pour bien mesurer les avantages et les contraintes de cette délicate intervention.  La famille, les amis, le kiné, le médecin traitant n’avaient guère été de bons conseils. Ils ne pouvaient pas, elle le  comprenait très bien, prendre la décision pour elle. Comme elle se sentait seule! Mais enfin depuis quelques jours seulement, elle savait qu’elle dirait "oui" au praticien.  A quinze heures, elle entra dans le bureau impersonnel du chirurgien. Il l’accueillit avec un sourire, la fit asseoir:
— J’avoue franchement que je ne pensais pas vous voir aujourd’hui, vous étiez si indécise la dernière fois.
— Oui docteur, j’ai eu d’énormes difficultés à me décider, mais finalement c’est oui. J’accepte cette intervention et je m’en remets à vous! Seulement j’aimerais, si vous êtes d’accord, retarder l’intervention en Octobre, car vous m'avez précisé que je serai plâtrée deux mois. Je pourrais ainsi profiter de mes vacances. Qui sait ce sera peut-être les dernières...
— Il y a un petit problème, dans ce cas ce ne sera pas moi, car je quitte ce centre hospitalier pour m’installer dans une autre région, vous serez donc opérée par mon remplaçant, n’ayez aucune crainte il est très compétent. Je vais d’ailleurs vous le présenter, puis je filerai en vitesse car je suis attendu au bloc opératoire.

Un homme corpulent, en habit vert de chirurgien entra dans le bureau, Le chirurgien le présenta:
— Voici donc le docteur Mohin! Cher ami, je te confie Madame. Son dossier complet est là sur le bureau.
Après une poignée de mains chaleureuses et un grand sourire, il quitta  la pièce. Une angoisse indescriptible étreignit Céline sans qu’elle en sache exactement la raison. La sueur, froide, glissait dans son dos. Le docteur Mohin, au premier abord, ne lui plaisait pas. Elle essaya de sourire, ce ne fût qu’un rictus. Il feuilleta rapidement les divers comptes rendus. Sans un mot, il prit les radios de cheville, se leva et se tourna vers le négatoscope pour les mettre ainsi à la lumière. Soudain, sa calotte verte de chirurgien tomba sur le sol...

Et Céline découvrit avec horreur, qu’une énorme boule adipeuse, déformait le haut de son crâne…

Julien, accompagné de Bobby, sortit de la maison. Dès qu’il avait pris son petit déjeuner, il mettait sa casquette, prenait son petit accordéon, appelait son chien toujours prêt pour la promenade. Comme tous les jours, sa maman, la vieille et adorable Madeleine lui disait :
— Fais bien attention à toi ! Prends garde aux voitures et surtout tu n’acceptes pas les bonbons, les biscuits non plus, tu m’entends ?
Julien acquiesçait, toujours d’ accord, son éternel sourire aux lèvres. C’était mercredi, les enfants envahissaient les petites rues du village, et leurs cris animaient ce lieu paisible. Il allait à leur rencontre, le cœur en joie. Le chien, un adorable petit ratier, gambadait, mais jamais très loin de lui. Pour chaque passant qu’il rencontrait, comme il le faisait régulièrement, Julien remontait sa manche de veste, pour faire admirer sa vieille montre, au bracelet usé et aux aiguilles figées. En plus de son accordéon, il avait toujours avec lui une sacoche un peu usagée que je lui avais offert : dans ce sac, des feuilles de papier brouillon, sur lesquelles il faisait avec application de jolis dessins d’enfant.

Des gamins tournaient autour de lui en riant, Bobby, inquiet, restait près de son maître.
— Eh ! Casimir ! Joue nous un air d’accordéon !
Ils le regardaient un peu moqueurs. Il ne fallait pas lui dire deux fois: des sons pas très agréables sortirent de son instrument jouet. Le soufflet était troué, mais comme un virtuose, "Casimir" s’exécutait ! Quel nom : une de ses sœurs l’avait appelé ainsi, en souvenir d’un personnage de série télé et depuis, c’était devenu son surnom. C’est vrai que Julien avait un ventre rond et des yeux innocents ! Enfin, de toutes manières, il ne savait pas, lui, qui était Casimir. Peu importe, il était facile à vivre, cela ne le dérangeait pas. Des garçons plus grands lui jetaient des cailloux. Pour lui  faire peur, ils surgissaient derrière son dos en hurlant.  Julien appelait alors sa mère. Il ne pouvait courir, ni marcher trop vite à cause de son pied bot. Cette malformation congénitale le rendait si différent des autres !

Madeleine, sa maman, avait eu une vie difficile. Dans les années trente, alors qu’elle n’était qu’une toute jeune fille, elle avait rencontré un jeune homme étranger au village qu’elle habitait alors. Il l’avait séduite. Cette liaison avait fait scandale. Lorsqu’elle avait réalisé qu’elle était enceinte, le bel étranger était parti depuis longtemps. Pour dissimuler son état, à la famille et aux médisantes commères, elle s’était serrée le ventre avec de larges bandes velpeau, pendant toute sa grossesse, et avait travaillé dans les champs jusqu’à la veille de sa délivrance. Sa mère, qui avait bien sûr deviné son état, voulait qu’elle abandonne son enfant à la naissance, mais farouche et déterminée Madeleine refusait de toutes ses forces. Elle affronterait et assumerait tous les aléas quoiqu’il advienne !

Et les difficultés, pire que ce qu’elle attendait, arrivèrent tels de gros nuages noirs avant la tempête. En ce mois de Juin, au lever du soleil, elle ressentit d’affreuses douleurs, ses parents venaient de partir aux champs, elle était seule dans la maison. Elle ne comprit pas tout de suite que le "travail" était commencé, des douleurs infernales lacéraient son ventre, son dos. Aucune position n’était confortable, ni couchée sur le dos, ni en chien de fusil, ni debout. Les contractions violentes se rapprochaient, intolérables. La seule mise au monde à laquelle elle ait assisté, était le vêlage d’une vache chez les voisins fermiers. Les parents ne parlaient pas de ça en ce temps là. L’angoisse, la peur l’étreignaient, elle se retenait de crier. Pourtant personne ne l’aurait entendu, les voisins les plus proches étaient à cinq cent mètres. Ses parents revinrent, fourbus, des champs en début d’après midi, sa mère trouva qu’il était trop tôt pour appeler la sage femme :
— Tu le portes encore trop haut dit-elle.
Et ce ne fût que vers vingt deux heures que la sage femme arriva, puis le médecin deux heures plus tard. Madeleine, épuisée, tentait de suivre les conseils du médecin :
— Allez pousse ! Encore ! Encore !

Le docteur avait l’air inquiet ! A deux heures du matin, enfin, Julien vint au monde. Sa bonne fée ne l’avait pas accompagné. Il y avait eu trop de souffrances : le cordon ombilical avait failli l’étouffer, la sage femme l’avait pendu par les pieds et frappé vigoureusement sur les fesses. Il avait eu mal avant même de pouvoir enfin respirer. Ses petites lèvres violettes tremblaient, et alors qu’il se mettait à pleurer, sa grand-mère, avant même le médecin s’aperçut de sa difformité:
— Oh regardez ! Il a le pied mal-formé ! C’est un pied bot !
Elle fit un signe de croix. Un pied bot! Quel mot bizarre pour désigner un pied si laid ! Madeleine,craignant que son fils ne vive pas longtemps, le fit baptiser très vite. Il avait si souffert ! Elle lui donna comme prénom "Julien" en souvenir d’un héros d'un livre qu’elle avait lu à l’école. Il ressemblait beaucoup à son papa qu’il ne connût jamais. Mais, il n’était pas comme les autres enfants hélas. Sa naissance malmenée faisait de lui un handicapé physique et mental. Alors qu’il avait cinq ans, Madeleine se maria. Son mari, un homme bon, adopta Julien et l’aima comme un fils. Trois autres enfants naquirent, deux sœurs, un frère et en grandissant, ils s’occupèrent de leur aîné comme d’un bébé. Il avait aujourd’hui soixante cinq ans mais un âge mental de cinq ans.

Madeleine vieillissait. Depuis le décès de son mari, dix ans plus tôt, elle ne connaissait plus le repos, ni la sérénité. En effet, ses enfants, maintenant mariés, père et mères de famille ne s’entendaient guère, et c’était des querelles à n’en plus finir. Parfois, ils la prenaient à témoin. A l"approche de son quatre vingt troisième anniversaire, elle se sentait lasse. Quand elle évoquait sa fin sûrement prochaine, et l’avenir problématique de son fils Julien, cela soulevait inévitablement des disputes, chacun des enfants invoquant leur manque de temps et de moyens financiers, pour pouvoir assumer leur frère handicapé. Julien, lui, vivait sa petite vie tranquille. Depuis quelques années, la fée étant résolument absente, il souffrait de diabète. C’était si injuste pour lui qui aimait tant les sucreries. Sa maman, attentive ne lui faisait plus ni gâteaux, ni crèmes. Peu lui importait, quand il se promenait dans les rues du village, des gens (bien intentionnés ?) l’appelaient pour lui offrir des bonbons et des friandises ! Une de ses sœurs, pourtant avait épinglé au revers de sa veste, une petite étiquette sur laquelle elle avait inscrit : "Attention Casimir est diabétique ! Pas de sucre svp !" La vie de Julien se résumait à Bobby, son accordéon, sa montre, sa sacoche avec plein de papiers et bien entendu sa maman.

Depuis quelques temps Madeleine déprimait, sans que personne vraiment ne le remarque ! Elle passait ses nuits d’insomnie à réfléchir à l’avenir de Julien. L’imaginer dans une institution pour handicapés, seul,  enfermé à vie la minait. C’était inenvisageable, trop cruel et son cœur de maman se révoltait. Elle sentait bien, que Casimir était une charge non désirée par ses autres enfants. Ce dimanche encore, alors qu’elle avait voulu réunir sa petite famille autour d’un bon repas dominical, il y avait eu une grosse dispute, et toute le monde s’était quitté fâché. Elle n’arrivait plus à remettre l’ordre et la paix. C’était une vieille femme désormais. Elle passa une partie de l’après midi dans son petit potager, puis alla se recueillir sur la tombe de son mari bien aimé. Ce fût l’heure du dîner, elle fit un flan à la vanille qu’elle donna à Casimir, mais il ne vit pas d’étrangeté là dedans !

Depuis la mort de son papa, il dormait avec Madeleine. Elle lui racontait des histoires, comme quand il était petit, il adorait ça. Mais ce soir là il n y eut pas droit ! il regardait sans comprendre, les larmes couler sur les joues ridées de sa maman, il mit longtemps à s’endormir. Il ronflait légèrement, quand Madeleine se leva silencieusement. Elle alla dans la cuisine, pieds nus, elle prit un couteau dans un tiroir. Elle retourna dans la chambre. Agenouillée sur le lit, près de son petit garçon endormi, les larmes ruisselant sur son doux visage, elle le poignarda...

J’allais quelques jours plus tard rendre visite à Julien. Il était pâle sur son lit d’hôpital, un tuyau d’oxygène dans les narines pour l’aider à respirer. Le couteau, heureusement, n’avait touché qu’un petit peu son poumon gauche ! Sa fée était enfin arrivée. Le lit était jonché de feuilles de brouillon et de crayons de couleur. Sur une chaise, son petit accordéon, sur la table de chevet, une photo de Bobby et dans un cadre argenté, une photo de sa maman. Il m’accueillit avec son sourire enfantin, mais tristement me dit :
— Maman, elle a voulu tuer moi ! »

Après un séjour en psychiatrie, (je ne préfère pas vous en parler !), puis en maison de retraite, Madeleine est décédée peu après, sans avoir retrouvé la raison. Ce fût un des chagrins de ma vie ! Julien, Casimir, mène une vie très heureuse, chez une de ses sœurs. Il parle toujours de sa maman avec amour:
— Elle est au ciel !...

Nouvelle inspirée de faits réels.

Juin 2008

 

 

— Je vais probablement mourir, se dit la psychiatre en sentant l’étau des mains de son patient sur son cou.
Ses yeux révulsés imploraient le malade. La peur la faisait bégayer lamentablement :
Arrr arrr arrêtez !
Voyant son image dans les pupilles dilatées de son agresseur, elle essaya de faire pivoter le siège de cuir fauve pour se défendre : peine perdue, l’oxygène lui manquait, elle étouffait.  Son agresseur riait: un rire cruel et démoniaque qui n’alerterait personne car Cyril Longuet était le dernier rendez vous de cet après midi hivernal. La salle d’attente était déserte. Le médecin. essaya de glisser ses doigts entre les mains crispées et son cou. Cyril Longuet la regardait haineusement.et il serrait.
La psy se disait :
— Respire profondément, c’est à toi de décider que tu n’es pas terrorisée.
Elle avait envie de vomir, ses mains étaient moites. Elle fermait les yeux en essayant de repousser le fatal feu d’artifice.La voix de Cyril Longuet, d’ordinaire si calme et si basse devint aiguë et stridente, ses poings se serraient ; ses doigts se crispaient. Il appuya encore et hurla :
— Crève ! Mais crève donc, tu n’es qu’une sorcière.
Il relâcha un tout petit peu l’étreinte mortelle. La psychiatre prit une profonde inspiration : de l’air, de l’air ! Enfin ! Ses pulsations cardiaques redevinrent presque normales. Malgré l’angoisse, elle resta immobile sur son fauteuil. Ne pas le brusquer ! Le calmer c’est impératif ! Son patient était en pleine bouffée délirante et en totale agressivité, et de ce fait devenait très dangereux pour les autres et aussi pour lui-même. Il fallait d’urgence le faire hospitaliser en psychiatrie.

Cyril, rageusement, fit pivoter le fauteuil tout en continuant de serrer le cou grassouillet du médecin, mais cette fois moins fort. Il desserra lentement la prise quand il entendit le Médecin  lui parler :
— Ecoutez-moi Monsieur Cyril Longuet.
— Je ne suis pas Cyril Longuet, je suis l’empereur Pépito.
D’un geste brutal il fit valser le téléphone sur le parquet ciré. La psy eut un sursaut, fit une grimace, mais s’adressa à lui en souriant :
— Racontez-moi Pépito !
— Empereur Pépito !
Puis il joignit ses pouces et ses index en losange et se mit à déambuler autour d’elle avec une démarche comique et saccadée. Sa bouche émettait un bruit bizarre, comme un bruit d’insecte ou un petit moteur, un son incongru dans cette pièce d’un immeuble de grand standing à l’atmosphère feutrée, aux meubles cossus et encaustiqués.

La lampe de bureau en bronze projetait sur cette scène originale une douceur intime. Le médecin massait sa nuque endolorie. Elle se cala confortablement au fond de son fauteuil en cuir fauve et d’une voix très calme dit :
— Oui Monsieur Longuet, dîtes moi d’où venez-vous ?
— Pas Cyril Longuet, je vous dis ! Je suis l’empereur Pépito !
Ah ces délires schizophrènes, elle en avait assez ! Elle reprit doucement :
— Ne voulez vous pas vous allonger sur ce canapé ?
Son patient se prit la tête dans les mains et murmura :
J’ai mal, j’ai mal !
Elle se leva, le contourna et alla s’asseoir sur une chaise près du divan. Cyril de son pas mécanique vint enfin prendre place sur la banquette. Elle répéta patiemment :
— D’où venez-vous Pépito ?
Empereur Pépito, je suis le roi d’un mode souterrain et suis à la tête d’une puissante armée, chaque jour, des milliers de recrues viennent grossir les rangs. grondat-til.
Haletant,il humectait ses lèvres sèches.
— Pourquoi une armée ?
Les yeux fous, la bouche tordue en une grimace effrayante, il hurla :
— Nous allons envahir la terre, et je viendrai tuer mon père, tuer ma mère !
Il sanglotait à présent les yeux crispés et fermés, il s’était recroquevillé, tel un fœtus, dans le fauteuil.La psychiatre se leva lentement, se dirigea vers son bureau. Elle ouvrit un tiroir d’où elle sortit un petit étui. Elle se versa un verre d’eau minérale.
— Oh, j’aurais bien besoin d’un whisky ! Ce pure malt que les de Lachaunie m'ont offert le weekend  dernier, après notre partie de chasse !
Cyril Longuet continuait son monologue, mais il ne sanglotait plus :
— Vous allez tous mourir ! On vous tuera tous, je vous dis.
Il s’agitait de nouveau, mais la psy, le regard dur revenait vers lui ! Marre de ces malades, maniaco dépressifs, candidats au suicide, schizophrènes, mégalos !Quelle vie ! Heureusement c’est la fin de la semaine.

Demain les Catoires l’attendraient au manoir pour une partie de golf, et puis il y aura aussi la partie de bridge, sans compter le restaurant quatre étoiles. Alors ce n’est pas ce rigolo qui va l’ennuyer ! Lui, il passera son weekend interné en psychiatrie ! Non mais !
— Je vous tuerai tous.
Le visage du patient était congestionné. Le poing dressé, il essaya de se lever, menaçant. La psychiatre, avec force, le fit rasseoir et le regard dur, elle lui planta la seringue de valium dans le bras!

Son regard n’était pas en corrélation avec sa bouche, elle souriait.

— Votre fille, monsieur dit-elle en lui passant le téléphone.
Elle avait un sourire à vous damner !
— Merci !
Il sourit ravi, ses travaux d’approches fonctionnaient encore. A près de soixante cinq ans, il plaisait toujours ! Évidemment il se soignait, ses costumes, ses chemises étaient griffés, ses mains manucurées, son eau de toilette discrète et raffinée !
— Allo chérie ! Quel plaisir de t’entendre !
— Bonjour papa ! Comment vas-tu ?
— Très bien, je te remercie et toi ?
Il suivit des yeux la jeune et jolie secrétaire qui quittait le bureau en lui adressant un petit signe gracieux de la main.
— Papa ! J’ai une superbe idée !
— Ah bon quoi donc ?
— Mercredi, c’est l’anniversaire de maman, on pourrait lui faire une chouette surprise qu’en dis-tu ?
— Mais chérie, nous le fêterons ce dimanche, en famille, comme convenu !
— Je sais papa !écoute moi ! Tu te souviens, quand j’étais enfant, nous passions nos vacances sur la côte d’opale ! C’était magnifique, le cap gris nez et son phare d’où nous devinions les falaises anglaises, le cap blanc nez où nous cherchions des moules, nous courions sur les longues plages, maman peignait la mer et les couchers de soleil à l’aquarelle ! Je ramassais des coquillages, on…
— Bien sûr, je me souviens de tout cela, mais pourquoi ?
— Papa ! On pourrait emmener maman dans ce petit restaurant "Chez Mimi" Nous y mangions de superbes plateaux de fruits de mer !
— Enfin Christelle, ce restaurant doit être fermé depuis le temps, quinze ans tu te rends compte ! Et c’est quand même à deux heures de chez toi !
— Papa ! J’ai retrouvé l’adresse, j’ai appelé, le restaurant existe toujours, la fille de la maison a repris l’affaire, s’il te plaît papa ! Je voudrais y emmener Pascal !
— Mercredi ! Chérie ! Mais je travaille voyons !
— Tu es le directeur de cette société non ? Allez papa ! Avoue qu’il y a très longtemps que je n’ai pas fait de caprices !
Julia frappa discrètement à la porte.
— Entrez !
Elle posa sur le bureau face à lui le dossier qu’il avait réclamé, son sein ferme effleura son épaule, il en tressaillit, elle se redressa lentement sans le quitter des yeux
— Papa, tu m’écoutes ?
— Oui ma puce ! Je réfléchissais !
— Tu es le patron, tu peux bien prendre une journée de congés non ?
— Eh bien, nous pourrions faire cette sortie qui te tient tant à cœur la semaine prochaine jeudi ?
— Ce serait mieux mercredi pour l’anniversaire de maman ! Pour tout te dire, Pascal et moi avons pris la journée ! Nous pensions que tu mettrais beaucoup moins de temps à te décider ! C’est important les soixante deux ans de maman, de TA femme !
Le parfum frais aux notes fleuries de jasmin et mimosa l’enivrait. Julia s’était assisse, jambes croisées, elle balançait un pied nu aux ongles écarlates. Elle inclinait gracieusement sa jolie tête sur un document et suçait son crayon. La semaine précédente, il lui avait proposé une soirée dans un restaurant, mais elle avait prétexté un dîner chez ses parents. Elle avait précisé qu’une autre fois pourquoi pas avec un sourire engageant. Il s’imaginait caresser ce joli cou, ces seins agaçants de fermeté ce...
— Papa ?
— Désolé, chérie, la secrétaire vient de me déposer un dossier urgent ! Je peux te rappeler ?
— Non ! Décide-toi ! Avoue que tu en as envie ! J’ai acheté un cadeau pour Maman, je préfère le lui offrir avant dimanche, tu comprendras pourquoi ! Et toi que vas-tu lui offrir ?
Gêné, il ne répondit pas, Julia lui souriait.
— Papa ? Alors ?
— Bon d’accord pour mercredi, rendez vous à la maison vers dix heures et nous irons ensemble retrouver tes souvenirs de jolie petite fille gâtée ! Je dois te laisser maintenant, je suis désolé. Je t’embrasse, bonjour à ton cher mari ! A mercredi bye !
Il raccrocha nerveusement puis s’adressant à la jolie intérimaire :
— Je vous remercie pour le dossier Julia, pouvez vous me rechercher un numéro de téléphone, il s’agit d’un restaurant à Audresselles : "Chez Mimi".
— Bien monsieur, tout de suite, il avait remarqué le petit sourire coquin au mot "restaurant " !
— Monsieur, il va être l’heure de votre rendez vous avec monsieur Bailleul !
— Oui j’y vais merci ! Il quitta le bureau avec regrets, mais il était satisfait du regard excitant de sa secrétaire. Alors qu’il se dirigeait vers sa luxueuse voiture, son téléphone vibra : il avait un message, Il lût : "Merci ! Tu es le plus gentil papa du monde ! A mercredi !"
A vingt quatre ans Christelle, son unique fille, son trésor, avait gardé une âme d’enfant ! Il sourit. Tout allait bien pour elle : son mariage heureux (semblait-il) avec Pascal, jeune cadre dynamique aux dents longues mais charmant, un métier de conseillère en communication où elle s’éclatait, une jolie maison ! Le trajet pour rejoindre l'entreprise de monsieur Bailleul lui parut court et c’est tout guilleret qu’il pénétra dans la cour. Deux heures plus tard, il regagna son domicile où Catherine, son épouse, l’attendait.
— Bonsoir ma douce ! Tiens ! Tiens ! Tu es allée chez le coiffeur, toi dit-il en accrochant sa veste. Elle sourit :
—Il fallait bien cacher ces horribles cheveux blancs non ? J’ai ramené des beignets d’oignons, d’aubergines, du poulet Saag et du riz basmati de chez le traiteur indien, je n’ai pas eu le temps de cuisiner.
— Super ! J’adore !
— Je le sais bien ! C’est bien pour cela ! répondit-elle en l’enlaçant.
Un visage éclatant de jeunesse, une peau de pêche vint le troubler ! Il s’écarta doucement :
— Je reviens, je vais prendre une douche, tu nous sers un whisky ?
Quelques minutes plus tard, il sirotait son "12 ans d’âge préféré dans un verre en cristal, installé confortablement dans son fauteuil. Catherine lui racontait sa journée. Il rêvait ! La déshabiller, toucher enfin cette peau douce, l’embrasser, voir le plaisir s’allumer dans les yeux verts couleur de jade, la…
— Chéri ? Tu ne m’écoutes pas ! Mercredi j’irai chez ma mère.
— Hum ! Comment ? Pardon ma douce. Oh non ! Pas mercredi ! Christelle et Pascal viennent nous rendre visite !
— Mais comment le sais-tu ?
— Christelle m’a appelé ce matin !
— C’est formidable ! Bien, j’irai voir maman jeudi, elle ne sera pas fâchée puisqu’elle vient dimanche comme convenu. Tu sais que nous serons une quinzaine ! J’espère que le menu satisfera tout le monde !
— Bien sûr ma chérie, ne t’inquiètes pas, passons à table, je meurs de faim ! J’ai eu une journée fatigante, Bailleul est épuisant ! Dur en affaires !
— Mon pauvre amour ! Allez, passons à table !
Lundi 22h30 :
Catherine lui massa le dos. Il dormit comme un bébé.


Mardi 8h15
— A ce soir chérie, je risque de rentrer tard, ne m’attends pas !
Qui sait, Julia se décidera peut être à accepter son invitation !
Mardi 9h
Julia l’accueillit en débardeur blanc immaculé et brodé "parfaite avec de jolis défauts", une jupe légère en toile rouge sublimait ses longues jambes nues et bronzées. Son visage rayonnait :
— Bonjour monsieur, la journée va être belle, vous avez vu ce ciel ?
— Nous pouvons la terminer ensemble qu’en pensez vous dit-il en plaisantant !
A sa grande surprise Julia répondit :
— Je suis libre comme l’air ce soir ! D'accord !
Elle ne riait pas, ne se moquait pas, elle attendait ! Le cœur battant la chamade il reprit :
— Ce soir dix neuf heure trente à "La Chaumière" ? C’est sur la route...
— Oui je connais, dit-elle avec un sourire ravageur. Je vous y rejoindrai.
La journée avec ses nombreux rendez vous lui parût interminable.
Mardi 10h
— Allo maman ? C’est moi !
— Bonjour mon cœur, vous venez demain ?
— Oui maman, justement ne prépare rien ! Je ramènerai un plat de lasagnes, je deviens presque aussi bonne cuisinière que toi, un vrai chef italien m’a dit Pascal ! Pour le dessert ce sera des fruits, la pâtisserie ce n’est pas encore ça ! Et elle raccrocha en riant.
Mardi 19h
Ah ! Ces embouteillages et il ne connaissait même pas le numéro de portable de Julia !
Mardi 19h15
— Allo ma douce ! Comme prévu je rentrerai tard ce soir, j’invite un client au restaurant, je t’embrasse !
Mardi 19h45
Impossible ! Pas de place sur ce parking ! Invraisemblable !
Mardi 19h50
La petite Clio de Julia n’était pas stationnée. La belle n’était pas non plus au bar ! Avait-elle pensé qu’il lui avait posé un lapin ? Etait-elle venue, puis repartie ? Il prit un whisky puis un autre.
Mardi 20h30
Elle ne viendrait plus, il repartit rageusement chez lui.
Mercredi 9h45
— Coucou papa, maman c’est nous !
— Bonjour chérie quel miracle vous n’êtes pas en retard ! Bonjour Pascal comment allez vous ?
Christelle prit sa mère dans les bras :
— Bon anniversaire ma petite maman !
— Merci mon cœur quelle joie de vous voir ! Tu as bonne mine !
Il regardait avec attendrissement sa fille. Elle portait une robe bleu azur, ses cheveux blonds étaient attachés par un ruban de la même couleur. Pascal la couvait des yeux.
— Bien, nous partons ! En voiture !
Catherine les regarda :
— Ah je comprends mieux, c’est un traquenard ! Où m’emmenez-vous ? Je ne suis même pas habillée pour l’occasion !
— Allons maman, tu es très jolie comme cela allez viens !
Il leur fallût un peu plus d’une heure pour arriver sur la côte. Catherine et les enfants discutaient gaiement. Les yeux verts tantôt gais, ou coléreux ou encore brillants de désir perturbaient sa concentration !
— Tu as deviné où nous allons maman dit Christelle
— Oui j’ai deviné quand je l’ai vu prendre la direction de Calais ! Pascal, vous allez découvrir des paysages superbes !
Une petite route sinueuse les emmena vers le cap Blanc-Nez : un patchwork de champs de blé, lin, orge, pommes de terre betteraves les ravit. Et devant leurs yeux émerveillés, les célèbres falaises crayeuses apparurent éclatantes de majesté sous le soleil radieux !
Ils descendirent sur la plage, des cueilleurs de moules, des pêcheurs à pied arpentaient les rochers verdis d’algues, abandonnés pour quelques heures par cette mer turquoise.
— Venez dit Christelle, courons comme autrefois !
Catherine préféra s’asseoir sur les galets, admirer le paysage, le ciel changeant, en songeant aux années bonheur : l’enfance de Christelle, son bébé !
Il essayait de suivre le rythme des enfants, il manquait d’exercice, sûr ! Il allait reprendre une activité sportive ! Que penserait-elle de sa petite brioche ?
Lui pardonnera- t-elle son retard ?
Christelle souleva sa robe et courut dans les vagues, éclaboussa Pascal, cela finit par un baiser torride. Il crût entendre la sonnerie de son portable…Elle appelait ? Non ! Rien !

Mercredi13h
La façade du restaurant, autrefois blanche, était peinte en bleu ciel. La salle était décorée de toutes sortes de "pierrot lunaire. Des cadres, des bibelots, très kitch les firent sourire ! Il régnait, dans cette salle, une chaleureuse intimité. Les convives souriaient, ils attaquaient leurs plats avec convoitise !
Le patron charmant les accueillit avec un grand sourire et les emmena à leur table. Catherine, émue, s’assit près de lui et lui prit la main ! Que de souvenirs .Pascal et Christelle s’installèrent en face d’eux. Ils offrirent leur cadeau, Catherine déballa un superbe appareil photo numérique.
— Merci !! Croyez vous que je saurais m'en servir ?
Il lui donna une bague sertie d’une magnifique émeraude !
— Ne pleure pas maman, pas encore dit Christelle
— Merci les enfants, merci chéri ! Comme je suis gâtée !
Mercredi 13h15
— Alors les enfants que prendrez-vous ? Sans aucun doute une langouste n’est ce pas Christelle ? Les serveurs slalomaient entre les tables, leurs plateaux de fruits de mer en équilibre : de véritables œuvres d’art suivies par des yeux alléchés ! Catherine et lui commandèrent "le plateau des amoureux " spécialité de la maison : des palourdes, tourteaux, huîtres, bigorneaux, bulots, crevettes grises et roses, des langoustines, des salicornes, tomates, salade, mayonnaise étaient dressés en un buisson harmonieux. Christelle prit une langouste, Pascal préférât une sole.
— Tu prendras un st Estèphe comme à ton habitude n’est ce pas ma fille ?
— Euh non papa ! Je prendrai de l’eau !
— De l’eau, avec une langouste ! Sacrilège ! Tu veux rire ?
— Le bébé préférera de l’eau j’en suis sûre !
L’effet de surprise attendu fût complet, les parents s’immobilisèrent !
— Tu veux dire ?
Christelle et Pascal éclatèrent de rire :
— Oui ! Je suis enceinte Bonjour Papy, bonjour mamy !
Puis regardant sa mère :
— Je savais bien que tu finirais par pleurer !
Le patron venu chercher la commande devina qu’une bonne nouvelle venait de tomber sur la table sept, il repartit , sa fiche à la main, en chantant !Catherine, les yeux brillants avait glissé tendrement son bras dans son dos, il s’écria :
— Ne suis-je pas trop jeune pour être grand père ? Non je plaisante, je suis ravi, félicitations à vous deux !
De joie il se pencha pour embrasser Catherine, un doux baiser qu’il trouva tendre si tendre !
Mercredi15h
— Le dessert tu peux ?
— Oui !oui une énorme glace avec plein de chantilly ! Ce fût le même dessert pour les 4 convives heureux.
Mercredi 15h30
Cette fois c’est sûr, son portable a sonné ! Non c’est la messagerie !
— Il s’excusa et sortit, il consulta fiévreusement lut ce texto : "Suis désolée pour hier soir ! Vous expliquerai ! Ce soir même heure même endroit ! Julia"
Non il ne pouvait pas ! Ce n’était pas possible ! Mais s’il n’y allait pas ?...Il appela le numéro, c'était la boite vocale, il ne laissa pas de message. C’était décidé, il irait ! Il regagna la table :
— Je suis vraiment désolé, c’était Bailleul. Il s’est décidé enfin, il accepte ma proposition mais veut me rencontrer, nous avons rendez vous à dix neuf heures trente ce soir. Nous avons encore un peu de temps !
Il ne regarda pas les mines déconfites, tout à sa joie ! Christelle se fit prendre alors qu’elle arrondissait son ventre ! Il trouvait Catherine en beauté, cette couleur cuivrée lui allait à ravir, les hommes la regardaient, il était fier et lui plaisait encore !
Mercredi 17h
Après une petite promenade digestive au cap Gris Nez, pour humer l’iode côtier et chercher les côtes anglaises estompées par la brume, ils reprirent la route.
Mercredi 17h30
Arrêt sur une aire de repos, Christelle est "barbouillée" !
Mercredi 18h30
Il prend une douche, se change, hésite entre plusieurs chemises !
— Je rentrerai sans doute très tard ne m’attends pas chérie ! Bonsoir les enfants ! Tiens ! Sébastien ?, qu’en dîtes-vous, c’est un joli prénom !non ?
— Papa ! Nous ne connaissons pas encore le sexe de notre bébé !
— Je vous laisse à bientôt !

Mercredi 19h10
Il se gare sur le parking de l'auberge où la divine Julia doit le rejoindre !
Mercredi 19h40
La voilà enfin ! Elle est là ! Elle est là ! Elle est là ! Il avait envie de chanter !
Elle s’avance vers lui, elle porte un ensemble en soie verte, des sandales aux talons vertigineux, de grands anneaux d’or scintillaient aux oreilles ! Magnifique presqu’irréelle ! Il lui prend la main, ne demande pas la raison de l’absence de la veille. Leur table est dressée dans un endroit très discret comme il l'avait demandé. Elle parle beaucoup exclusivement d’elle, de ses rêves, de ses ambitions, de ses projets, de ses futures vacances. Il caresse ses mains, de ses pieds il effleure les sandales qui parfois s’insinuent entre ses genoux. Le repas, pourtant raffiné et délicieux, ne l’intéresse pas. Par contre elle goûte à tout, gourmande comme un chaton !
La caresser, la caresser ! Vite ! Elle trempe ses doigts dans sa coupe de champagne et les lui met sur les lèvres, ses yeux brillent intensément. Après le dessert et l’expresso, elle murmure :
— Et si on faisait plus ample connaissance, qu’en penses tu ?

Mercredi 22h30
Julia s’extasie sur le luxe de la chambre, s'isole dans la salle d'eau pendant près d’une demi-heure ! Il n’ose pas la rejoindre, il se déshabille et l’attend, nu, dans le lit immense. Elle apparait, telle une déesse, belle à en damner un saint. Ils basculent sur le lit, il la caresse des lèvres, des mains, il sent son cœur s’emballer d’émotion ! Ils font l’amour passionnément. Alors qu’elle le chevauche, sans même l’embrasser, il remarque ses yeux verts si beaux mais, curieusement, cruels !
Soudain, une douleur violente, dans la poitrine, le suffoque, mauvaise digestion pense-t-il ! Mais la douleur s’intensifie, bloque sa mâchoire, vrille dans son dos, écartèle son bras gauche. Julia le regarde, sans comprendre !
— J’ai mal ! Au secours !
C’est horrible ! Un étau compresse sa poitrine, il peut à peine respirer, chaque inspiration allume un feu dans ses poumons ! Le cœur le cœur ! Dans un reste de lucidité il sait qu'il va mourir emporté par une crise cardiaque !
Julia, affolée, décroche le téléphone. Il ne l’entend pas parler ! Une ronde d’images : des visages, des paysages tournent dans sa tête, voici ses parents jeunes se tenant la main, sa fille bébé, sa femme en mariée, sa douce et tendre femme il murmure Catherine ! sa fille enceinte avec un ventre énorme, sa maison d’enfance, la forêt ou enfant il se promenait avec ses parents. Il ne verrait plus Catherine la douce, Christelle son trésor. Il ne connaitrait jamais son petit fils: il en était sûr c’était un garçon !
Au secours !
Bizarrement, une dernière image vient à son esprit : un plateau de fruits de mer!

Juillet 2010

Dissimulé derrière un rocher, il observait l'homme d'environ quarante ans qui déambulait,l'air pensif, sur la plage. c'était son "contrat", celui qu'il allait abattre. Et, bien entendu, il tuerait sa proie sans le moindre scrupule; Ce n'était ni la première ni la dernière... L’appât du gain le faisait sourire de contentement. Pourtant se dessinait sur son visage anguleux, un rictus cruel. C'était le bon moment, la plage était déserte. Pourquoi donc sa future victime était-elle seule? Il sortit son flingue et visa calmement l'homme. Tout à coup, son regard fut attiré par un maillot de bain,très féminin, abandonné sur le sable. Il était original, couleur moutarde avec des fleurs couleur violette. Il en eut envie, une envie irrésistible, folle. Le prendre, le voler, le coller amoureusement contre lui et enfin l’essayer, ce soir, devant son miroir. Vite , vite il remit son arme dans son étui et courut vers l'objet de son désir....

Cet après midi là, elle grimpa à l'étage pour y chercher son plaid en mohair mauve qu'elle avait reçu en cadeau d'anniversaire. Mais, qui le lui avait offert, et quand? Elle avait du mal à s'en souvenir. Elle huma avec délice l'odeur du lainage, imprégné de sa fragrance préférée. Elle préférait les parfums aux bijoux. Elle ne portait, ni collier, ni bracelet, pas même une montre.
Elle tourna machinalement son alliance en frissonnant. L'hiver était là et ce ciel bas et plombé semblait promettre la neige. Les soirées étaient longues, parfois interminables. Les programmes télé si décevants et si souvent incompréhensibles la lassaient. Pourtant, elle restait devant l'écran très tard, l'esprit ailleurs. Des souvenirs d'enfance lui revenaient et elle souriait. Son mari s'étonnait :
— Mais à quoi penses-tu donc? Ce téléfilm est effrayant, je ne vois pas ce qui te fait sourire.
Elle haussait les épaules!

— Jacqueline!!! Que fais-tu là haut?
Elle sursauta, jeta le châle sur le lit et descendit. Charles rentrait du jardin. Il avait cueilli quelques poireaux pour le potage et, comme de coutume, il avait laissé des empreintes boueuses. Elle soupira puis partit dans la cuisine éplucher les légumes et préparer le repas. A leur âge, ils se contentaient d'une soupe et d'un morceau de fromage. Son appétit avait bien diminué depuis quelque temps. C'est sans doute pour cela qu'elle avait parfois des étourdissements.
Elle entendit Charles lui crier qu'il allait prendre une douche. Il était toujours avec elle, n'allait plus jouer aux cartes avec ses amis. Ca l'ennuyait disait-il. Un bruit bizarre la fit se retourner. L'évier où trempaient les légumes débordait. Elle se mit à hurler :
— Charles! Charles viens vite, viens!
Nu, il sortit de la salle de bain et courut vers elle :
— Que se passe-t-il?
— Regarde !
Charles ferma le robinet en soupirant.
— Va donc t'asseoir sur le divan, je vais éponger.

Elle se dirigea vers le salon en frissonnant davantage. Assise dans son fauteuil profond, elle pensa à ses cousines. Enfants, elles adoraient jouer au fond du jardin de ses parents où coulait une petite rivière. L'été, quand les filles venaient en vacances, c'était leur terrain de jeux. Elles y barbotaient, jetant des pierres pour y faire un gué. Elles courraient après les oies et les canards de la ferme voisine. La ferme! Elle y avait appris à traire les vaches. Sentir, goûter le lait chaud sorti du pis, s'amuser à voir arriver une ribambelle de chats...
— Voila, c'est arrangé! Et j'ai mis la soupe dans la cocotte minute.
— Comment?
— J'ai tout essuyé et j'ai mis la soupe à cuire.
Elle regarda son mari sans comprendre. Il lui caressa les cheveux.
— Ce n'est pas bien grave. Viens regarder les chiffres et les lettres.
Elle se leva, commença à passer le chiffon sur le téléviseur.
— Le téléphone, s'exclama-t-elle.
— Mais non, reste donc assise. C'est la soupape, je vais baisser le gaz. Veux tu que je te ramène ton plaid?
— Non, non, je l'ai merci !

Charles s'éloigna d'un pas pesant. Elle aimait se retrouver seule, sa présence l’empêchait de rêver. La naissance du veau: quelle aventure. Marie-Paule, une des cousines, était avec elle. La fermière les avait autorisées à rester pour l'événement. Le vêlage avait duré longtemps...Elle se souvenait encore de la gifle reçue de sa mère qui avait la main leste. Charles posa doucement le châle sur ses épaules.
— Tiens, tu auras plus chaud. Il fait vraiment froid dehors. A la météo, ils ont dit qu'il allait neiger. J'ai cueilli des légumes pour les jours qui viennent. Ils sont à la cave.
Elle hocha la tête, puis se mit à somnoler pendant l’émission. Il la regardait à la dérobée. Inquiet pour sa femme, indifférente à tout, parfois très calme presque trop par moment et brusquement colérique, il appellerait le médecin dès demain. Mariés depuis cinquante-cinq ans, ils avaient eu une vie sans trop de problèmes. La passion, l’amour, les enfants, la tendresse! Oh il y avait eu quelques écarts de son coté qu'elle avait pardonnés, du moins il le pensait.

Après leurs mariages, les deux enfants du couple avaient quitté la région pour s'installer en ville. Ils avaient quatre beaux petits enfants, des grands ados maintenant. Il avait bien pensé à téléphoner à sa fille et à son fils pour parler du changement de caractère de leur mère. Mais, à quoi bon, ils avaient leurs vies, leurs propres soucis, les études des enfants, les crédits. Mais il allait en parler au jeune docteur qui venait de s'installer à la place de leur médecin de famille, retraité depuis a un an. Mais à leurs âges, changer de médecin n'était pas facile. Le nouveau venu avait à peine quarante ans et semblait débordé. Quand il passait pour renouveler le traitement de Charles qui avait un peu trop de cholestérol, il restait à peine cinq minutes. Jacqueline n'avait pas un poil de graisse, une tension plutôt basse et un cœur en excellent état. Elle semblait dépressive, mais pour quelles raisons ? Le médecin avait tenté de le rassurer :
— Ne vous inquiétez pas, c'est l'hiver et nous avons manqué de soleil cet été. Je lui prescris des vitamines. Rappelez moi si nécessaire.
Tous les matins, en mari prévenant, il lui pressait une orange ou épluchait un kiwi. Elle avait repris le tricot. Hélas ses petits enfants ne portaient pas ses écharpes, ses pulls ou ses bonnets. Ils préféraient acheter dans les enseignes à la mode. Ils ne téléphonaient presque plus, trop occupés à correspondre par SMS ou via leurs ordinateurs avec leurs amis...
Jacqueline, Mamie gâteaux, ne parlait plus d'eux. Elle évoquait, de temps en temps, leur enfance. Elle sortait les albums photo et leur souriait :
— Tu te souviens, elles avaient eu peur de la mer la première fois...

— Ah, Jacqueline la soupe est cuite ! Je vais la mixer.
— Non laisse j'y vais!
Et elle fila en cuisine. Charles zappa sur une chaine d'informations en continu. La crise, la crise, il n'était plus question que de cela. Et toutes ces guerres, ces milliers de morts, ces boucheries dont ils étaient les témoins impuissants. Et puis les pollutions.
— Mais quelle planète allons-nous laisser à nos enfants? soupira-t-il.
Soudain, il  se rendit compte qu'il n'avait pas entendu le bruit du mixer. Que faisait donc sa femme?
— Jacqueline!
Pas de réponse, aucun bruit dans la maison. Impatient, il se leva pour la rejoindre.
— Jacqueline?
Assise sur une chaise, elle avait les yeux dans le vague.
— Mais enfin, que fais tu? Cela fait un quart d'heure que tu es venue passer la soupe...
— Oh , fous moi la paix!!!
Elle se leva brusquement et jeta rageusement une assiette sur le sol.
— J'en ai assez!
Choqué, il répliqua:
— Mais quoi? Qu'est-ce qui t'arrive? Tu es malade? Dis-moi!
Elle ne répondit pas, tout en ramassant soigneusement les débris qui jonchaient le sol pour les mettre à la poubelle.
— Qui vient dîner ce soir?
— Mais personne Jacqueline.
— Quel jour sommes-nous?
— Vendredi enfin tu le sais bien.! Tu me sembles bien fatiguée. Vas donc t'allonger, je te monterais un plateau.

Charles voulait, à tout prix, cacher son anxiété. Jacqueline retourna s'enrouler dans son plaid sur son fauteuil. Oui, il appellerait le docteur demain à la première heure. Le comportement de sa femme le tracassait trop. Ce n'était pas normal. Il mixa la soupe, y ajouta de la crème fraîche et allait préparer le plateau quand Jacqueline, sereine, revint dans la cuisine.
— Qu'est ce qu'on mange ?
Elle s'attabla et engloutit le velouté de poireaux, puis deux grandes tranches de Gouda et enfin un yaourt et une crème-dessert.
— Tu te rappelles Mélanie avec ses crèmes au chocolat et Benjamin ses yaourts à la noix de coco. Ils viennent quand déjà ?
Le cœur serré, Charles avait pris quelques cuillerées de soupe.
— Et si tu les appelais?
— Ah, oui Marie Paule depuis le temps que je ne l'ai pas eue...
— Mais… ...
Quelle humeur fantasque.
— Allo, Marie Paule ! C'est Jacqueline, ta cousine
— Bonjour ma chérie, comment vas tu?
— Le veau est né.
— Le quoi.?
— Ben le veau, et puis la rivière. On s'est bien amusé n'est-ce pas ?.
— Ah oui. Tu parles de notre enfance. Tu es nostalgique dis donc. Ecoute, je vais te rappeler dans la soirée ou demain. Je dois faire un gâteau avec Ambre.
— Ambre?
— Ambre ma dernière petite fille. Tu sais bien la fille de ...

Elle raccrocha brutalement et ne répondit pas à la sonnerie. Elle regardait par la fenêtre du salon. La neige tombait abondamment. Les flocons ressemblaient à des gros insectes blancs dans le halo du lampadaire de la rue. Elle n'aimait pas l'hiver mais le printemps. Ces pousses délicates de fleurs parfumées reviendront demain...Elle reprit son tricot: un couvre-lit pour la chambre d'amis. Charles revint dans la pièce, après avoir rempli le lave-vaisselle. Il observait discrètement son épouse, plongée dans son ouvrage. L’orage était passé. Elle semblait très calme et lui avait souri.
— Qu'a dit Marie Paule?
— Sais plus, pas grand chose.
— Et qui a téléphoné ensuite?
— Personne, mon chéri.
Il allait répliquer mais choisit de ne rien dire de plus.
— Bon, je vais regarder les infos. Ensuite, il y a un bon film. A moins que tu préfère aller te coucher et lire?
— Comme tu veux.
— Le film ou la lecture?
Elle ne répondit pas, posa son tricot et replia ses jambes sous elle. Elle fixait l'écran. Ils regardèrent le film du soir, un excellent thriller avec Clovis Cornillac et Yvon Attal. Jacqueline s'endormit avant la fin.

Le soleil est éclatant, il fait chaud. Elle a mis son short rouge. Marie Paule porte une jupette qui laisse deviner ses longues jambes minces.
— Allons attraper des têtards on les mettra dans le seau pour avoir des grenouilles
Elles s’éclaboussent et feignant d'avoir peur des oies qui sortent de la cour de la ferme. Hou la ! Voici qu'arrive fièrement le coq. Agressif, il lui saute sur l'épaule

— Jacqueline, allons Jacqueline viens te coucher.
Elle ouvrit péniblement les yeux. Mais qui était cet homme qui la secouait ainsi?
— Jacqueline, tu t'étais endormie. Dommage ! Heureusement le film se termine bien, je te raconterais. Viens, tu tombes de sommeil
— Charles?
Elle se doucha; une migraine s’annonçait. Cela lui arrivait souvent ces derniers temps. Avant de monter vers leur chambre, elle ouvrit la porte d'entrée. L'allée du jardin avait disparu sous la neige épaisse qui scintillait. Brrr...Qu'il faisait froid. Charles l'attendait dans le lit, un bras tendu sur son oreiller. Chaque soir, comme un rituel, elle se blottissait contre son mari : un coin de paradis, une part de sérénité et beaucoup de tendresse. Mais cette fois, après un baiser, elle lui tourna le dos. Charles, qui avait pris son somnifère, s'endormit très vite. Ses ronflements envahirent la pièce. Jacqueline alluma sa lampe de chevet et prit son livre. Elle ne comprenait plus l'histoire, son mal de tête empira. Il fallait penser à des choses gaies pour pouvoir dormir. Après qu'elle eût regardé souvent la pendule, la dernière fois il était quatre heures, le sommeil la prit enfin.

Le soleil brille. Quel bonheur.
— Viens, on va se rouler dans l'herbe là-bas sur le talus. Il est encore trop tôt pour rentrer.
Comme elle est jolie sa cousine avec ses grands yeux bleus et ses longs cheveux blonds et lisses. Quelle chance elle a! Jacqueline a toujours détesté ses cheveux bruns et frisottants. Papy avait une préférence pour Marie Paule elle le savait bien. Le coq crie ...

Elle se réveilla toute en sueur. Et quel bruit bizarre! Qui ronflait ainsi? Elle regarda l'homme allongé près d'elle. Elle ne le connaissait pas mais elle n'avait pas peur. Sa migraine vrillait son crâne, chauffait ses tympans. Elle se leva, enfila sa robe de chambre grise, sa douillette comme elle le disait, et descendit. Sa mère n’était pas là, son père non plus. Il lui fallait un médicament, elle avait trop mal. Elle ne reconnut pas la cuisine.
— Maman, tu es là ?
Pas de réponse .
— Maman, j'ai mal à la tête.
Elle se dit que sa mère devait être au jardin et sortit. Le jour se levait à peine. Elle traversa le village sans rencontrer âme qui vive, à part un joli chat roux. Elle avançait, légère, sa queue de cheval au vent. Elle avait une nouvelle robe grise. Marie Paule l'aimerait surement quand elle la verrait. Tiens elle était dans les prairies. Mais où étaient donc les vaches.
— Marie Paule! Où te caches-tu?
.....
— Allez, ce n'est pas drôle ! Ah je vois tu es derrière ces buissons. Coquine !
Elle courut vers sa cousine ,mais que ses jeunes jambes étaient lourdes et le soleil avait disparu. Elle avait froid. Quelqu'un la retenait par sa robe grise.
— Au secours! Qui me tient? Lâchez-moi ! Je cherche ma cousine. Maman j'ai froid, j'ai trop froid.
Elle essayait en vain de se libérer, en tirant sur sa robe, des griffes qui lui lacéraient les bras, les pieds et les jambes.
— Au secours! Laissez moi! Je suis une petite fille. Pitié! J'ai froid et mal à la tête.
Elle se blottit contre le tronc d'un églantier engourdi par l'hiver....

Charles se réveilla vers huit heures. Tiens, Jacqueline était déjà levée, il ne devait pas y avoir longtemps car il ne sentait pas l'odeur du café. Il descendit l’escalier en sifflotant.
— Jacqueline ?
....
Elle n'était ni dans la cuisine, ni aux toilettes. Il fit le tour de la maison. Personne. Mais où était-elle donc?
— -Jacqueline! Réponds-moi. Où est tu?
....
Le silence de la maison lui fit horreur. Dans l'entrée, le manteau l'écharpe et le bonnet de sa femme étaient à leur place. Il remonta dans leur chambre où l'oreiller de Jacqueline était tout chiffonné. Oh! Elle avait encore mal dormi. Il vit alors que sa robe de chambre n'était plus sur le fauteuil. Il crut défaillir, regarda par la vitre. Des traces de pas étaient bien visibles dans la neige. Il courut vers le téléphone, appela les secours :
— Gendarmerie, je vous écoute.
— Ma femme a disparu.
— Donnez moi votre nom, votre adresse, s'il vous plait.
— Je vous en prie, faites vite
— Monsieur quelle âge a votre femme?
— Soixante treize ans. Elle est partie en robe de chambre. Je viens de voir ses empreintes de pas dans l'allée du jardin.
— Nous arrivons, Monsieur. Je préviens les pompiers.

— Jacqueline, ma chérie où es tu?
Il téléphona à ses enfants pour les prévenir de la disparition de leur mère. Sa fille se mit à pleurer. Son fils tenta de le rassurer:
— Je viens Papa, elle ne doit pas être bien loin.
On sonna à la porte
— Jacqueline?
Non deux gendarmes. Il leur expliqua ce qui venait de se passer.
— Monsieur, savez-vous si votre femme souffre de la maladie d'Alzheimer?
— Mon dieu, je n'ai jamais pensé à cela. Je viens avec vous la chercher.
— Non, restez chez vous, elle peut revenir. Nous allons prévenir vos voisins pour qu'ils vous tiennent compagnie.

Ils le laissèrent. Des larmes coulaient sur ses joues livides. Il s'habilla. Ses voisins arrivèrent avec du café qu'il ne put avaler. Mais où était elle par ce froid glacial en chemise de nuit? Le téléphone sonna, c'était son fils qui l'appelait avec son portable. Il allait passer chez sa sœur et ils arrivaient tout de suite.
Neuf heures : toujours rien
Sa disparition avait fait le tour du village et de nombreux volontaires parcouraient les rues et chemins à la recherche de Jacqueline
Dix heures : pas de nouvelle
Il faisait les cent pas dans la maison.
Dix heures quarante-cinq : il entendit le son horrible d'une sirène de pompier. Il comprit ...
Peu après les deux gendarmes revinrent
— Asseyez vous, Monsieur, nous avons retrouvé votre femme.
Tel un automate, il se laissa tomber sur une chaise de cuisine
— Elle était dans un fourré sur la colline. Elle s'est prise dans des fils barbelés. En enjambant une clôture, sa robe de chambre s'y est accrochée. Elle s'est débattue
— Comment va-t-elle? Je vous en supplie dites moi qu'elle est vivante.
— Nous sommes désolés, Monsieur. Il a fait moins huit cette nuit. Elle était en hypothermie quand on l'a retrouvé. Son cœur a lâché. Elle est morte dans l'ambulance des pompiers.

— Bonjour, madame Ginette. Avez-vous bien dormi? Je vais vous aider pour votre toilette.
— Merci, ma petite, vous êtes bien gentille.
Géraldine sourit, « petite », elle venait de fêter ses cinquante huit ans, enfin fêter si on pouvait dire. Le jour de son anniversaire, elle travaillait. Un seul message l’attendait sur son répondeur : celui de son amie Lucette. Elles se connaissaient depuis les bancs de l’école primaire et avaient ensuite fréquenté le même collège. Elles poursuivirent leurs études dans des lycées différents. Elles se voyaient de moins en moins souvent. Vint le temps des mariages, Lulu avec un gendarme, elle avec un agent d’assurance.  Son amie dût suivre les changements d’affectation inévitables de son mari. Elles gardèrent le contact par lettres pour tous les grands événements de leurs vies respectives. Nées la même année à trois semaines d’intervalle, elles ne pouvaient manquer de souhaiter leurs anniversaires.

Toutes deux mamans comblées, Lucette avait deux beaux garçons et Géraldine un fils et une fille. Elles avaient aussi le bonheur d’être des mamies. Lors de leurs conversations téléphoniques, elles évoquaient leur peur de vieillir et se rassuraient en plaisantant. Depuis peu, elles se voyaient de nouveau ; le mari de Lulu avait enfin obtenu un poste dans leur région d’origine. Leur complicité, malgré les années, était toujours la même.
— Venez vous asseoir. Votre petit déjeuner est prêt. Ensuite je ferais vos courses. Vous viendrez avec moi ?
— Je suis bien trop fatiguée, voyons.
Agée de quatre vingt ans et cultivée, la vieille dame était d’une absolue gentillesse.

Géraldine aimait bien ce métier d’auxiliaire de vie qu’elle exerçait depuis son divorce huit ans plus tôt. Après quelques stages, elle avait enfin décroché une place stable. C’était fatiguant mais aussi très enrichissant. Elle appréciait les contacts quotidiens avec toutes ces personnes âgées qui avaient tant de choses à raconter. Après madame Ginette, elle se rendait chez un veuf, handicapé par une poly arthrite et un peu ronchon. Ses mains déformées le faisaient souffrir et il marchait difficilement. Il refusait de quitter son village pour rejoindre une maison de retraite. Géraldine s’occupait de lui depuis deux mois. Les douleurs permanentes le rendaient agressif. Mais Géraldine restait imperturbable, un sourire permanent aux lèvres. Passionné de lecture, il ne pouvait, hélas, plus tourner les pages et refusait les livres enregistrés sur cassette. Il passait ses journées assis devant le poste de télévision, son chat siamois sur les genoux.

Hector, le chat, s’était laissé apprivoiser avant son vieux maitre Julien. Dès qu’il entendait la voiture de Géraldine, il se précipitait vers la porte et attendait dans le corridor. Il lui tournicotait autour des jambes en ronronnant. Comme tous les siamois, il lui parlait! Après avoir rempli son écuelle, elle s’occupait de Julien. Il évoquait systématiquement les programmes de la veille. Souvent, elle devait le lever pour se rendre à la salle de bain ou dans la cuisine. Elle avait bataillé ferme pour qu’il accepte une chaise roulante.
— Bonjour Monsieur Leroy. Il fait beau ce matin.
— Humm ! Bonjour Géraldine.
— Allez, je vous aide pour aller vous asseoir. Je vous prépare votre petit déjeuner.
En soulevant le vieil homme, elle ressentit une violente douleur dans le dos. Elle inspira à fond, ce qui ne fit qu’empirer le mal. Julien s’en aperçut.
— Voulez vous appeler le docteur ?
— Non ca va, juste un petit point de coté. Un bon café et on n’en parle plus. Je ne suis pas une chochotte dit-elle en parlant plus fort car il était un peu sourd.
Pendant qu’il buvait son café, elle passa l’aspirateur puis elle le réinstalla dans le salon. Après un dernier câlin à Hector, elle rejoignit sa Clio. Géraldine allait démarrer lorsque la douleur revint à la charge. Elle prendrait un relaxant musculaire ce soir se dit-elle. Elle ouvrit sa vitre et respira l’air printanier de la campagne. A environ trois kilomètres, elle avait repéré une maison de caractère, une ancienne ferme à l’abandon. Il n’y avait aucun rideau aux fenêtres, pas de panneau d’une agence immobilière. Un sentiment de sérénité l’assaillait à chacun de ses passages malgré la présence des mauvaises herbes aperçues à travers la grille d’entrée. Le terrain semblait immense avec un grand jardin. Elle n’avait jamais eu la possibilité d’acheter la moindre maisonnette. Elle vivait dans son petit appartement coquet mais sans le moindre cachet. Elle avait passé sa jeunesse dans la maison de famille où son père s’occupait d’un superbe potager.  Elle se rappelait l’odeur des légumes frais sortis de terre et celle, entêtante, du thym émietté entre les doigts. Sa mémoire avait gardé le souvenir du goût incomparable des radis croqués sans les laver et de celui, plus suret, de l’oseille. Elle se souvenait du suc, collant et blanchâtre, de la salade qui tachait ses vêtements. Il y avait aussi le pourpre des framboises, le violet du cassis et ce cerisier magique. Immense et noir l’hiver, il se couvrait de fleurs gracieuses et odorantes le printemps venu. Au début de l’été, il donnait ses fruits délicieux avant de se parer de ses couleurs automnales.

Jamais elle ne s’était arrêtée. Ce jour là, à cause de la douleur et poussée par la curiosité, elle gara sa voiture et décida de faire quelques pas. Elle traversa la route pour observer de plus près la belle bâtisse.
— Viens, pousse cette grille et entre. Tu trouveras chez moi, paix, gaité et joie de vivre. Viens !
Géraldine sourit de ses délires. A force de côtoyer des personnes âgées, voila qu’elle entendait des voix. Une maison qui parle ! On aura tout vu ! Sans même en avoir eu conscience, elle se tenait face à la grille fermée par une chaine rouillée et un énorme cadenas.  La façade de la maison, en grosses pierres blanches, percée à chaque niveau de six fenêtres aux volets clos, dont la peinture verte s’écaillait, dissimulait un intérieur qu’elle imaginait somptueux. Une large porte en bois massif, en haut d’un perron de six marches, semblait l’inviter à entrer. Des plaques de mousse couvraient, par endroits, les tuiles orangées du toit orné de deux cheminées et de lucarnes. Bien qu'elle n'eut auucne connaissaisance en matière de bâtiment, cette maison lui paraissait saine et en parfait état.
— Bon, Géraldine arrête de rêvasser, tu as encore trois patients à visiter, se dit-elle.
Après un petit signe, comme si elle disait eu revoir, elle tourna le dos et regagna sa voiture. Le reste de la matinée passa vite. Après son repas, elle fit quelques courses et son ménage. Le soir venu, elle décrocha le téléphone :
— Salut ma Lulu
— Coucou, Didi. Comment vas-tu ?
Elle adorait ces surnoms qui les suivaient depuis leur adolescence.
— Fatiguée. Et toi ? Comment va Philippe ? Mieux j’espère.
— Il se remet doucement. Tu sais ca fait à peine trois mois qu’il a eu son triple pontage.
Géraldine, attentive à l’épuisement physique mais surtout mental de son amie, l’appelait régulièrement pour la soutenir en la faisant rire. Elle lui raconta l'épisode de la maison vide qui lui avait parlé…
— Bon, écoute. Je l’achète pour ton anniversaire. Je vais jouer au loto et comme je vais gagner ce sera chose faite.
— Ah merci, ma Lulu. C’est super sympa. Je sais que je peux toujours compter sur toi. Crois-moi si tu veux. J’ai perçu de bonnes ondes. J’en ai bien besoin.
Elles éclatèrent de rire.
— Ton château, il est à vendre ?
— Je ne sais pas ; il n’y a pas de pancarte. Peut être une maison dont le propriétaire est mort sans laisser d’héritier. Elle est superbe. Comme j’aimerais qu’elle soit à moi ! Ouiiin, je suis trop triste.
Avant de raccrocher, Lucette promit à son amie qu’elle l’accompagnerait un jour voir l’objet de ses rêves. Après ce bon moment, Géraldine fit ses comptes, prit un frugal repas. Elle regarda le film du soir, avala un cachet relaxant et se coucha. Demain dimanche, elle pourrait se reposer, flâner un peu et si son mal de dos était passé, elle se remettrait à tricoter le pull à torsades qu’elle avait promis à sa petite fille pour ses treize ans. Il lui faudrait du temps mais elle imaginait déjà la joie débordante de l’adorable adolescente.

Elle est dans la cour de la jolie ferme. Elle a cueilli des fleurs sauvages. Elle grimpe les marches, ouvre la porte et entre dans la cuisine resplendissante. Tout y est propre. Il flotte une délicieuse odeur de gâteau. Elle cherche un vase pour ses fleurs mais ne le trouve pas. Elle passe dans la salle à manger où trône un piano quart de queue en citronnier. Les meubles en bois blonds embaument la pièce de leur chaude odeur de cire. Des buches crépitent dans la haute cheminée Elle approche les mains des flammes dansantes pour se réchauffer. Soudain, elle aperçoit un cadre argenté posé sur le manteau de marbre poli qui surmonte le foyer. Elle se reconnaît, jeune mariée magnifique dans sa robe de satin et mousseline. Ses cheveux ondulés sont ornés d’une couronne fleurie. Ses mains, gantées de soie, entourent un bouquet de renoncules blanches. Elle regarde, avec amour, un homme élégant dans son costume gris en queue de pie. Mais pourquoi ce visage est-il si flou ? En tout cas ce n’est pas celui de son mari. Elle trouve sur le coin de la cheminée une marmite en cuivre qui fera un bel écrin pour son bouquet.
— Si j’allais visiter les autres pièces ? se dit-elle.
Elle passe dans la bibliothèque feutrée et intime aux murs cachés de hautes étagères garnies de livres. Elle ouvre la porte de la salle de bain carrelée de  faïence aux motifs de fleurs entrelacées. Elle traverse l’arrière cuisine d’où part l’escalier qui monte vers le premier. En haut, un long couloir dessert quatre pièces. Une porte attire son attention. Bien sur, c’est celle de sa chambre. Elle entre et se voit nue et cambrée, chevauchant avec passion l’homme de la photo. Leur entente charnelle, leur amour ne font aucun doute. Elle sort précipitamment, empourprée mais si heureuse. Dans la  suivante, elle aussi parquetée, règne un délicieux désordre enfantin. Des petites voitures, des pièces de circuit miniature jonchent le sol. Une autre porte s’ouvre sur un écrin tout rose de petite fille où poupées et peluches sont soigneusement alignées. La dernière, celle des amis, est elle aussi joliment décorée. Au fond du couloir, elle entre dans une deuxième salle d’eau où elle reconnaît l’odeur ambrée de son luxueux parfum, son péché mignon de toujours. Elle redescend en fredonnant.

— Zut, je suis en retard. Le réveil n’a pas sonné. Ah non c’est dimanche aujourd’hui. Chouette je peux faire la grasse matinée. Allez je me replonge dans mon rêve.
Hélas les songes, surtout les plus doux, reviennent rarement. Elle paressa une heure de plus, souriant de bonheur. Elle avait raison. Cette maison envoyait des ondes positives. Elle était satisfaite de sa soirée, ses comptes faits, son appartement tout propre. Elle alla acheter des fleurs blanches qui donnèrent une fière allure à sa table. L’après midi se déroula en compagnie de Michel Drucker.

Le Lundi matin, en prenant le volant de sa Clio rouge, elle se sentait en pleine forme. Une autre semaine commençait, une de plus dans sa vie monotone. Une nouvelle patiente, après une opération délicate, avait besoin de ses services. Le dynamisme et la joie de vivre de Géraldine plurent immédiatement à l’opérée. Elle reprit sa tournée habituelle: Madame Ginette, Monsieur Leroy et les trois autres personnes. En arrivant chez le vieil homme, elle pensa qu’il avait peut-être des informations sur le propriétaire de l’ancienne ferme.
— Bonjour, mon Hector, viens mon beau matou. Tu m’as manqué tu sais. Ah monsieur Leroy, vous êtes déjà à table. Je suis un peu en retard, j’ai du passer voir une dame qui sort tout juste de l’hôpital. Vous avez eu de la visite hier?
— Comment ? Parlez plus fort  je ne vous comprends pas.
Elle reprit, haussant la voix.
— Vous avez eu des visiteurs hier, c’était dimanche?
— Hein qu’est ce qu’on mange?
— Non, vos enfants sont venus vous voir?
— Oui, un café noir et plus vite que ça, ronchonna-t-il.
Il était de mauvaise humeur. Les questions, ce sera pour la prochaine fois. Ses tâches accomplies, elle prit congé sans oublier les caresses pour le chat. Lorsqu’elle arriva à hauteur de la maison, elle ralentit pour tenter de voir s’il y avait un jardin derrière. Elle remarqua une trouée dans les buissons épineux. Elle aperçut alors, sur le coté droit, une petite porte qui n’était pas cadenassée.
— Et si j’entrais par là, se dit-elle. Je pourrais faire le tour et voir ce qu’il y a derrière. Après tout, je ne fais de tort à personne.
La petite porte était coincée par des herbes folles enchevêtrées. Elle décida de l’enjamber. Elle se retrouva dans le jardin, les mollets griffés par les ronces. La nature avait repris ses droits mais la séparation entre le potager et le jardin d’agrément se distinguait encore. Cueillant au passage quelques fleurs sauvages, elle se dirigea vers la terrasse où deux énormes pots de grès montaient la garde devant les deux volets fermés d’une porte fenêtre. Elle monta les marches. En se retournant pour contempler le jardin, elle découvrit une porte vitrée dépourvue de volets, sans doute celle d’un cellier ou d’une buanderie. Curieuse elle s’approcha et vit qu’une des vitres était fendue à proximité de la clenche. Il fallait qu’elle entre. Elle devait confronter son rêve à la réalité. Elle pesa sur la vitre ébréchée qui céda rapidement et s’écrasa sur le sol. Elle passa sa main par l’ouverture et ouvrit sans peine la porte. C’était bien un cellier qui donnait sur la cuisine: un vieux poêle délabré, une table bancale et des chaises en paille éventrées. Des cadavres de mouches jonchaient un sol dont le carrelage était couvert de poussière

Elle pénétra dans une grande pièce à peine éclairée par les minces rayons de lumière qui filtraient à travers les volets. Elle ouvrit la porte fenêtre pour donner un peu plus de clarté. La cheminée était bien là, imposante, mais son marbre avait perdu tout éclat. Bien sur, ni piano, ni meuble dans cette immense pièce. Sur les murs on devinait des restes de papier peint. Il n’y avait plus un seul livre sur les étagères, en partie effondrées, de la bibliothèque. Elle fit demi-tour. Malgré sa déconvenue, elle monta à l’étage. Le parquet du couloir, comme celui des chambres était ternis et sales. Elle ouvrit les volets de la pièce où elle pensait avoir eu des ébats torrides. A cette idée, elle se mit à sourire. Elle jeta un regard par la fenêtre qui donnait sur une cour encombrée d’outils divers, de brouettes, et d’échelles. Dans un coin, une charrette... De l’autre coté du couloir, elle vit une porte éclairée grace à la lumière du jour à laquelle elle avait permis le passage.
— Tiens, elle n’était pas là, dans mon rêve. Où peut-elle bien mener ? pensa-t-elle.
Puis se souvenant des lucarnes du toit, elle sût que c’était l’accès au grenier. Elle n’aimait pas ces endroits peuplés d’araignées et de souris. Mais la curiosité prit le dessus sur ses craintes.
— Monte donc, mauviette.
En haut de l’escalier raide, elle déboucha dans un vaste bric à brac. Malles, meubles à moitié cassés et cartons s’entassaient sur toute la surface. Sous une des deux lucarnes ornées de toile d’araignées, elle vit un vieux fauteuil Voltaire. Un manteau ou une cape de couleur noire était jeté en travers, elle distinguait un outil dont la lame luisait faiblement dans la pale clarté. Une bêche, une fourche ? Elle allait ouvrir une malle, sans doute des vieux vêtements, quand son regard accrocha les reflets d’un cadre argenté. Tombé au sol près d’un mur, il était brisé. Elle se pencha pour le ramasser. Quelle étrange coïncidence! Elle se releva avec précipitation. Son crane heurta violemment une poutre basse. Sa vue se troubla, le sang coulait de ses oreilles. Elle bascula en avant sur le sol du grenier et perdit connaissance.

Le fauteuil grinça quand un homme décharné se leva, vêtu d’une cape et coiffé d’un chapeau noirs. Dans un sursaut d’agonie, elle comprit. Cet outil était une faux tournée vers l'extérieur.

— Ton heure est venue, Géraldine. Je suis Son messager. (*), Elle m'a envoyé te chercher.

11 février 2012

(*) : Dans la mythologie celtique, l'Ankou (le serviteur de la mort) fait le tour des villages. Il vient chercher les âmes des défunts qu'il transporte ensuite dans sa charrette grinçante. Vêtu d'une cape noir et d'un chapeau qui dissimule son visage, il tient à la main une faux, tranchant tourné vers l'extérieur.

 

Date de dernière mise à jour : 07/10/2023