Un couple de cousins, venus me rendre visite, parlent de leurs prochaines vacances de printemps. Ils ont réservé un chalet dans les Pyrénées mais, je les sens stressés, angoissés. Luc, mon cousin, dit :
"A vrai dire, il n'est pas sûr que nous y allions, en effet, ma mère (Tante Gabrielle), comme tu le sais, est en maison de retraite depuis quelques mois et ces dernières semaines, son état de santé s'est aggravé. Elle a aussi de gros problèmes de vue et c'est inopérable ! Ainsi, nous sommes inquiets et indécis. Les enfants sont loin et ne pourront pas lui rendre visite.
Je promets alors d'aller voir régulièrement Tante Gabrielle et de leur donner ainsi des nouvelles. Luc et Francine partent heureusement apaisés.
Quelques jours plus tard, ma belle-mère vient à la maison. Tante Gabrielle est la sœur de son mari, elle accepte donc avec plaisir de m'accompagner à la maison de retraite.
Comme moi, elle n'a pas vu "Gaby" depuis plusieurs mois. Je la préviens gentiment que nous risquons de la trouver "changée" selon les dires de Luc et Francine.
Nous voilà arrivées au "Jardin fleuri" jolie petite maison de retraite, chambre 27 ! personne !... Une aide soignante que nous questionnons, nous invite à retrouver "Gaby" dans la salle de distractions. Les résidents, (enfin les plus valides), s'y trouvent avec une animatrice. En effet, une quinzaine de seniors, attentifs, observent la monitrice en train d'écrire sur un grand tableau.
Timide ! (Eh oui !), je cherche rapidement Tante Gabrielle, je ne voudrais en aucun cas troubler la petite réunion. Un rayon de soleil ardent et printanier m'éblouit par une jolie verrière.
Ahhh, je la vois ! La voilà ! Gaby dans une chaise roulante ! je reconnais son petit chignon bas sur sa nuque, cheveux encore poivre et sel malgré ses 93 ans.
De grosses lunettes noires, comme des lunettes de motocyclistes, la défigurent un peu ! Oh, la pauvre, c'est vrai, qu'elle a bien changé ! Je m'approche derrière le fauteuil, me penche pour l'embrasser sur la joue, petit bout de joue sous les lunettes !
A mi-voix, je lui dis :
"Bonjour Tante Gabrielle ! c'est Evelyne, la femme de votre neveu !
Pas de réponse !
Son état est plus grave que je ne pensais ! Quelques mamies et papys se retournent vers nous ! Mince, on va déranger !
Ma belle-mère, à son tour, s'avance pour embrasser sa belle-sœur, puis avec une voix plus haute :
"Gaby ! c'est moi ! c'est Huguette, votre belle-sœur !"
Toujours pas de réponse, je vois les larmes dans les yeux d'Huguette.
Gaby reste immobile pas un tressaillement, pas un sourire, difficile de voir ses yeux derrière ses épaisses lunettes noires !
Luc avait raison ! Pauvre Gaby, elle toujours alerte malgré son grand âge !
Elle a bien vieilli !
J'empoigne le fauteuil pour sortir vite de cette pièce et notre trio quitte la salle !
La monitrice est déjà en train de frapper le tableau avec une règle pour rappeler l'attention des pépés et des mémés.
Ouf, nous voilà dans le couloir ! vite, regagnons la chambre 27 !
Après la clarté ensoleillée de la salle de loisirs, le couloir nous semble bien sombre ! Pas assez pourtant pour qu'ébahies, liquéfiées, suffoquées nous voyions arriver dans un fauteuil roulant et poussée par une infirmière....
TANTE GABRIELLE ! GABY !!!
Qui nous apercevant, un peu surprise quand même, nous adresse de grands signes !
Tout se passe alors très vite, je fais demi-tour, regagne à grands pas la salle, replace avec précaution au même endroit Tante ! euh je veux dire madame ? Elle n'a toujours pas dit un seul mot ! impassible presque irréelle et je m'éclipse vers le couloir sous l'œil ahuri et stupéfait de la monitrice, règle en l'air.
Je retrouve la chambre 27 où tante Gaby et Huguette devisent joyeusement ! Pendant toute la conversation, je n'ai pas eu un regard pour Huguette pas plus qu'elle en a eu pour moi !
Le fou rire était en nous et nous le savions !.....
Nous avons attendu difficilement !
Mais lorsque nous nous sommes retrouvées à l'abri dans la voiture ce fut un fou-rire incroyable, inimaginable, incontrôlable,.......
Histoire vraie !! Hélas !!!
Comment ?
Que dites-vous amis lecteurs ?
Honte ??
Mais oui, bien sûr que j'ai honte